Coyote et le chant des larmes, Muriel Bloch et Marie Novion – Seuil Jeunesse, 2018

A chaque culture, ses animaux emblématiques. Chez nous, Goupil le Renart qui incarne la ruse est l’adversaire d’Ysengrin qui incarne la force et la bêtise. Au Sénégal, Leuk-le-Lièvre qui représente l’intelligence fait face à Bouki-l’Hyène, stupide et méchant. Chez les Indiens Hopis, Coyote est le héros de nombreux récits. L’un d’eux, superbement intitulé Coyote et le chant des larmes, nous est raconté par Muriel Bloch. Marie Novion l’a mis en images.

Une colombe qui faisait provision de graines se blesse à la patte alors qu’elle sautillait dans les herbes hautes. Aussitôt elle pousse un cri de douleur qu’entend Coyote qui se méprend : cette « mélodie » l’enchante. Et de se précipiter auprès de la colombe et de lui demander de « chanter » à nouveau. L’oiseau proteste : comment peut-on confondre pleurs et air de chanson ? Sous la menace,  l’oiseau s’exécute à contrecœur. Coyote, satisfait, regagne alors sa demeure en emportant avec lui l’air qui a charmé son oreille, mais en chemin, à la suite d’une chute, l’air s’est volatilisé. Coyote s’entête. Il lui faut cette musique à tout prix. De retour auprès de la colombe, il exige pour la seconde fois qu’elle chante. Et pour éviter d’être mangée, l’oiseau se remet à pleurer. Comme dans beaucoup de contes, l’épisode se répète, et pour la troisième fois, Coyote menace la petite colombe, mais celle-ci plus rusée avait préparé un piège subtil au vilain coquin. Et pour le plus grand plaisir du lecteur, c’est Coyote ensanglanté qui se met à gémir, un gémissement qui charme Corbeau qui passait par là et qui complimente l’animal pour la beauté de son chant. A quoi ce dernier répond : « Crétin de l’espèce des corbeaux sans oreilles, je ne chante pas, je pleure ! » …

Muriel Bloch, qui a grandement contribué au renouveau de l’art du contage, excelle dans l’oralité et la transmission des émotions. L’emploi du présent vivifie la narration. On tremble à l’écoute des dialogues dans lesquels l’oppresseur, sûr de sa force, abuse de son pouvoir. L’on perçoit la douleur dans la transcription onomatopéique des cris de la petite colombe dont la dimension mélodique est transposée visuellement à travers différents jeux graphiques. Le texte écrit manuellement à l’encre bleu se fond dans les images « surexpressives » de Marie Novion qui a choisi du bleu pour les protagonistes du conte et qui a adopté pour les décors  les couleurs orangées des canyons américains, territoires des Hopis, des Navajos et du coyote. Un album à lire à haute voix en interprétant « musicalement » le chant des larmes.

Michel Defourny

 

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