Disons d’emblée que cet album de photos de Marko Stevic, accompagné de commentaires de Caroline Stevan, est destiné à des lecteurs de tous âges, dès l’adolescence. Il constitue un témoignage émouvant sur la crise inédite que nous vivons et qui ne semble pas devoir prendre fin dans un avenir proche: la pandémie du Covid-19.
Marko Stevic a baladé son appareil photo dans les quartiers désertés de sa ville de Lausanne. Comme la température était clémente pendant les premiers mois de confinement, les gens interdits de sortie non essentielle prenaient l’air chez eux. Les uns avaient ouvert leurs volets et leurs fenêtres ; d’autres, bénéficiant d’un balcon, s’y prélassaient en famille, un bébé dans les bras, un pied par-dessous la rambarde, quelquefois en compagnie de leur chien ; des audacieux se penchaient dangereusement ou prenaient d’assaut leur toit ; en tenue décontractée, des voisins qui s’étaient ignorés jusqu’alors se faisaient signe. Textes ou dessins affichaient des conseils, des marques de sympathie ou de reconnaissance à l’intention des soignants.
Dans sa déambulation le long des trottoirs, Marko Stevic a dirigé systématiquement son appareil vers le haut. « J’ai essayé, explique-t-il, d’avoir le plus de personnes possible aux fenêtres d’un même bâtiment. » Si, au premier regard, ses prises de vue donnent l’impression de se ressembler comme les immeubles dont les étages se parallélisent, à y regarder de plus près on s’aperçoit que l’on est loin de la répétition, mais dans l’ordre de la variation ou de la sérialité. Une dimension propre à l’art photographique qui a souvent privilégié la série, comme le rappelle Caroline Stevan qui cite le répertoire patrimonial culturel français constitué au dix-neuvième siècle par Eugène Atget ou plus près de nous celui des coiffures de femmes nigérianes composé par J.D. Okhai Ojeikere. Et nous pourrions ajouter par exemple les séries de Charles Fréger consacrées aux mascarades et aux majorettes, ou encore l’ensemble des photos d’après accouchement de Rineke Dijkstra.
Çà et là, des pages échappent aux photos. On y lit des propos passionnants de Caroline Stevan sur la façon dont nous avons été confrontés au virus, sur nos réactions et les questions que nous nous sommes posées face à la vie, face à l’avenir. On y entend des réflexions cent fois répétées ; si certaines sont teintées d’inquiétude, d’autres font preuve d’humour..
Témoignage, disions-nous d’entrée de jeu, sur un moment difficile de notre histoire récente, ce recueil est aussi sur le plan de la photo d’architecture un hommage à la fenêtre et au balcon.
Michel Defourny