Emilie Vast, Je veux un super pouvoir ! – MeMo 2020

On retrouve ici un duo de petits lapins, l’un couleur marron et l’autre blanc, dont on avait fait la connaissance précédemment dans l’album « Moi, j’ai peur du loup » (2018) et que les petits découvriront cette année dans la présélection proposée à leur vote pour élire le Prix Versele. On retrouve dans les deux albums une structure analogue : les deux lapins dialoguent et leurs questions-réponses rebondissent comme des balles de ping-pong .

Il en est ainsi dans « Moi, j’ai peur du loup » :
– « Moi, j’ai peur du loup.
– Ah oui ? Pourquoi ?
– Parce qu’il a de grandes dents !
– Mais non, c’est…(touner la page)…Morse, qui a de grandes dents !
– Oui, c’est vrai !
– Ha,ha ! Et comme tu es frileux, tu n’es pas près de le rencontrer.
– Mais j’ai aussi peur du loup parce qu’il a de grands yeux.
– Non, c’est…
Etc.

Il en est ainsi dans « Je veux un super pouvoir ! » :
– « Moi, j’adore les super-héros !
– Ah bon ? Pourquoi ?
– Parce qu’ils ont des super-pouvoirs, et moi aussi, j’en veux un !
– Ah oui ? Lequel ?
– Par exemple, retenir ma respiration très longtemps, pour visiter le fond de l’océan.
– Mais, ce pouvoir est déjà pris par…(touner la page) Tortue marine, qui peut rester six heures en apnée, et même dormir sous l’eau !
– Ah oui, mince…
– Et puis, ça ne serait pas très utile pour toi, il n’y a pas de carottes dans la mer !
– Alors, je voudrais…
Etc.

Le lapin brun est de nature peureuse, il n’est pas sûr de lui ; son ami fait preuve d’un bon sens réconfortant et imaginatif. S’ils traitent successivement de la peur et du manque de confiance en soi , ces deux albums me semblent plus précisément encore mettre en avant la qualité d’une écoute vraie et compatissante de «l’autre » par le lapin blanc. Celui-ci ne s’impatiente aucunement, il laisse venir petit à petit tout ce que le lapin marron semble avoir accumulé intérieurement  et il lui propose point par point une amorce de réponse.

Les deux lapins sont sur le même pied ; ce n’est pas l’image d’un adulte qui réconforte ou rassure un enfant ; c’est un ami , le lapin blanc, qui cherche à comprendre ce que le lapin brun ressent, pourquoi et comment ; il le laisse tranquillement exprimer une à une ses raisons d’avoir peur ou ses fantasmes de super-pouvoirs ; point par point, il lui suggère une réponse qui ramène son ami à la réalité ; le lapin brun pourra ainsi ramener ses peurs et ses fantasmes à de justes proportions.

Le procédé astucieux qu’emploie l’auteure est de rebondir sur chaque difficulté du lapin marron par une comparaison précise avec le mode de vie ou les capacités propres à d’autres animaux. Le lecteur découvre des caractéristiques extraordinaires de ceux-ci, de quoi s’émerveiller de tant de prodiges dans la nature : la baleine bleue se fait entendre à plus de huit cents kilomètres à travers les océans ; le basilic peut courir cinq mètres sur l’eau sans couler ; le scarabée peut porter plus de mille fois son poids…. ! La réalité, dans la nature est parfois plus merveilleuse encore que la fiction.

La construction répétitive du dialogue à travers les deux albums crée un effet d’accumulation qui fait ressentir la disproportion des peurs ou des envies de supers pouvoirs du lapin marron. Ce genre de conte randonnée procure, par sa structure régulière, un sentiment de sécurité chez l’enfant et en même temps stimule sa capacité d’anticipation et d’imagination.

Est-il encore nécessaire, après tant de merveilleux albums que nous offre Emile Vast, de souligner la pureté des lignes, la simplification des formes dans laquelle des détails significatifs – fruits d’une observation rigoureuse et d’un amour évident de la nature – trouvent leur juste place ; les aplats de couleurs aux associations raffinées ; l’utilisation d’un papier de couleur noire dans l’album sur la peur confiée comme un secret… Un régal d’intelligence, de savoir-faire, d’esthétique et….d’humanité.

Chantal Cession

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