Je fus de prime abord séduite par les illustrations de cet album et titillée par un mot du titre et l’homophonie entre ballade et balade ! Je me plonge dans le récit…
Lino, le baladin, voyage, en traînant sa caravane, toujours seul, sa guitare en bandoulière, poussé par la curiosité : une nouvelle vallée, un sentier inexploré…Lorsque la faim lui creuse le ventre, il s’arrête dans un village. En échange d’un repas chaud ou de quelques pièces, il joue sa ballade.
Un jour, en bord de mer, il traverse un étonnant village de poissons pressés qui n’aiment pas être dérangés… sauf Octave, un rêveur, conquis dès que Lino entame sa chanson. Voici un nouveau compagnon pour poursuivre le voyage. A Moutonville, on n’aime ni les marginaux, ni les excentricités ; si bien que trois d’entre eux, les Wonders cabrioleurs, créateurs d’un show de cascadeurs , saisissent l’occasion et proposent d’accompagner Lino et Octave. Et ainsi de voltiger en musique. Autre étonnant village à traverser, Héronville, où les hérons passent leur temps à s’admirer et à entrer en compétition entre eux. Leur régime d’algues et de plancton séché leur interdit de déguster les glaces merveilleuses d’ Igor qui ne demande qu’à se joindre aux joyeux baladins. Dans le village des caméléons, ce sont deux punkettes caméléons au look bien tranché qui seront heureuses de rejoindre le groupe des voyageurs.
Ils sont désormais huit à poursuivre l’aventure… Et deviennent une centaine à avancer sur les routes : « C’est là qu’ils se sentaient chez eux ». Et l’album se termine sur l’image de cette joyeuse caravane formée de tous ceux qui refusaient la tyrannie de la rentabilité, du conformisme, de la compétition, de l’hypocrisie… et qui ont voulu sauvegarder leur faculté de rêver, de monter des spectacles , d’exploiter leurs capacités personnelles, de fabriquer de bonnes choses, d’affirmer leur créativité, leur marginalité et/ou leur contestation…
« Tous venus de lieux différents » : Lino, le baladin solitaire du début, s’ouvre sans hésiter à ce compagnonnage croissant en nombre et en variété. Sa chanson intègre petit-à-petit les nouveaux et nouvelles venu-e-s. Et ce cortège entraînant nous conte le plaisir de la diversité.
La structure de ce récit est proche du principe du conte randonnée, caractérisé par les répétitions et les accumulations. Ce procédé sollicite la mémorisation, l’anticipation et l’imagination du lecteur et assure généralement le succès de ces histoires auprès du jeune public pour autant qu’il dépasse la banalité en réservant des surprises, de l’étonnement, de l’humour… ou de la peur qui fait monter la tension. On se rappelle quelques réussites du genre en littérature de jeunesse, ainsi La chasse à l’ours de Michaël Rosen, Tu ne dors pas, Petit ours ? de Martin Waddell, Va-t’en grand monstre vert ! d’Ed Emberley, Bonjour poussin de Mirra Ginsburg, Le beau vert dodu de Marissa Russo,…
Quant à Lino et ses compagnons, ils semblent déambuler dans un décor de théâtre créé par l’illustratrice avec une aisance remarquable : profondeur de champ, impression de relief, agencement des personnages. Mathilde Brosset maîtrise l’art du découpage et du collage avec talent. Elle joue subtilement sur les contrastes et les harmonies de couleurs : chaque simple ou double page baigne dans une atmosphère particulière due à l’unité des teintes choisies, tantôt chatoyantes, tantôt plus froides. L’utilisation des formes géométriques forme une sorte de vocabulaire de base de ses illustrations : triangles, rectangles, cylindres, cercles, cônes, lignes droites ou courbes, parallélépipèdes rectangles.., utilisés parfois avec humour, telles les fenêtres des maisons des poissons. On prendra encore plaisir à observer les différentes textures des papiers découpés et à y rechercher les fragments de reproductions de tableaux anciens ; on admirera aussi le choix des frises décoratives ornant les maisons.
On ne quittera pas ce livre sans épingler la précision et la variété du vocabulaire.
Du plaisir et encore du plaisir dans la découverte de cet album d’une jeune auteure-illustratrice répertoriée comme « Jeune pousse » par la Fédération Wallonie- Bruxelles.
Chantal Cession