Joséphine Baker fera son entrée au Panthéon le 30 novembre prochain. L’occasion pour nous de lire ou de relire la biographie de cette femme d’exception, publiée par les éditions Rue du Monde en 2015. Patricia Hruby Powell, artiste américaine, danseuse elle-même, trapéziste, mime, lithographe, est l’auteure du texte. Ecrit dans une langue rythmée, enrichi de citations, l’ouvrage est remarquablement informé. Christian Robinson, qui a travaillé pour les studios d’animation Pixar et Sesame Street, en est l’illustrateur ; ce dernier maîtrise l’art du mouvement et de la mise en scène.
Suivons pas à pas les six chapitres qui font découvrir les principales étapes de la vie stupéfiante de Joséphine Baker.
1906-1917 : Les débuts. Où l’on apprend que le froid pousse la petite Joséphine à danser pour se réchauffer. La gamine est née dans un milieu très pauvre, parmi les taudis de la ville de Saint-Louis du Missouri. Alors qu’elle aide sa mère à récurer les sols, elle adore faire des grimaces et raconter des histoires.
1917-1921 : La première tournée. Âgée d’une dizaine d’années, elle rejoint un trio d’artistes de rue, puis une troupe de music-hall. Elle amuse le public « en faisant rouler ses yeux comme des billes ». Son premier voyage en train la mène à La Nouvelle-Orléans, où, comme partout aux Etats-Unis, la ségrégation raciale impose sa loi.
1921-1925 : « Je n’ai pas une tête à m’endormir ». À quinze ans, Joséphine se débrouille seule. Devenue entretemps Madame Baker, elle gagne New York où la comédie musicale Shuffle Along triomphe à Broadway. Entêtée, Joséphine réussit à se faire engager comme danseuse malgré son jeune âge : sa carrière est lancée. Si son talent est reconnu, elle doit, comme tous les noirs, passer par la porte arrière !
1925-1936 : « Pour la première fois, je me suis sentie belle ». Engagée par Caroline Dudley, elle gagne Paris pour la création de la « Revue Nègre » au Théâtre des Champs-Elysées. On notera qu’à l’époque le mot « nègre » est connoté positivement. Pas de discrimination dans la Ville Lumière, la troupe est accueillie dans l’enthousiasme. Pour l’affiche du spectacle, c’est elle, en robe blanche et dans un déhanchement sulfureux, que représente le jeune
peintre-affichiste Paul Colin. Joséphine stupéfie le public lorsqu’elle apparaît avec un numéro de charleston. « Ses genoux s’entrechoquent puis voltigent sur les côtés, ses bras claquent comme des ciseaux et se mettent à battre comme des ailes d’oiseaux (…).Elle secoue son corps de la tête aux pieds. Elle pivote sur elle-même, puis lance de toutes parts ses jambes. » Peu après, elle sera la vedette d’un show aux Folies Bergères. La voilà vêtue d’une ceinture de bananes et d’un collier de coquillage. Elle est devenue dans sa beauté
provocante une icône de la liberté. L’Europe entière lui fait fête, de même que l’Amérique du Sud. Il lui reste cependant à se débarrasser de l’image stéréotypée de l’Africaine sauvage.
À Vienne, dans « une longue robe de couleur crème, boutonnée jusqu’au cou, elle chante avec gravité une berceuse de son enfance, Pretty Little Baby (…), un negro-spiritual. » Les Autrichiens l’acclament : « ils disent qu’elle est un ange. »
1936-1947 : « La France a fait de moi ce que je suis ». Après un bref retour aux Etats-Unis où la ségrégation continue à faire rage, Joséphine rentre en France tandis que la menace de guerre se précise. Pour remercier son pays d’accueil, elle se dit prête à lui donner sa vie. Elle s’engage dans la Croix-Rouge puis, lorsque la France est occupée par les nazis, en résistante, elle travaille pour les services secrets. Elle chante aussi pour réconforter les troupes, soldats
noirs, soldats blancs, unis côte à côte dans un même combat pour la défense de la liberté.
1947-1975 : Joséphine à l’accent français. Désormais, plus Française que jamais, Joséphine ajoute un accent aigu sur le premier « e » de son prénom. Elle sera Joséphine Baker pour toujours. Elle continue à se battre pour la fraternité des peuples en adoptant des enfants de toutes couleurs et de toutes origines, « sa tribu arc-en-ciel ». Dans les années 1950, elle soutient la rébellion des noirs qui enflamme l’Amérique. Et en août 1963, elle prend la parole à Washington, devant une foule immense, juste avant que Martin Luther King
prononce son célèbre discours « I have a dream… ». C’est le plus beau jour de sa vie. Ses dernières années sont assombries par de lourdes difficultés financières et c’est de peu, grâce à la générosité de quelques admirateurs et amis, qu’elle échappe à la misère. Infatigable, elle remonte sur scène, s’impose enfin au Carnegie Hall de New York et présente ses trente
ans de chansons dans un dernier spectacle à Bobino, avant de s’éteindre en 1975. « Paris lui offre des funérailles dignes d’une Reine ».
Afin d’actualiser l’album, Alain Serres et les éditions Rue du Monde viennent de l’enrichir de quatre pages documentaires afin d’expliquer la portée symbolique de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon.
Joséphine Baker est la sixième femme, et première femme noire, à entrer au Panthéon. Elle y rejoint la grande scientifique Marie Curie, célèbre pour ses travaux sur la radioactivité. Elle y rejoint deux membres actives de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion. Elle y rejoint Simone Veil, icône de la lutte
pour les droits des femmes qui présida le premier Parlement européen.
Michel Defourny