Je marche au milieu des champs dans un grand vent d’automne qui a dégagé tout le ciel. A gauche du chemin, les maïs sont plus grands que moi ; à droite, la terre est retournée et déjà des pousses vertes apparaissent jusqu’à la lisière du prochain bosquet. Mon regard tout à coup est attiré par le vol d’un oiseau qu’ignorante en ce domaine, je qualifie aussitôt d’ « oiseau de proie » ; l’extrémité de ses ailes ondulent , il plane puis descend par palier vers le sol, pique et remonte aussitôt pour repartir dans la direction opposée à ma promenade. Je le perds de vue… mais surgit alors dans mon esprit une question : cet oiseau trouvera-t-il encore ici, dans nos campagnes qui évoluent inexorablement sous l’impulsion d’un certain mode de culture, tout ce dont il a besoin en nourriture, en territoire de chasse, de nidification ?
Je déjeune devant la fenêtre qui donne sur la terrasse ; nous y avons installé un abri pour les oiseaux où nous déposons régulièrement des mies de pain ou quelques graines ; moineaux et mésanges semblent apprécier car bien souvent, ils sont plusieurs à venir picorer, au prix parfois de disputes manifestes. Leur vivacité et leur détermination nous font sourire ! Mais tout à coup me revient, comme ce matin à propos de « l’oiseau de proie », une observation de Séraphine Menu dans ce bel album découvert tout récemment : « Où sont passés les oiseaux ? ». L’installation de mangeoires pour permettre aux oiseaux de se nourrir en hiver, si elle part d’une bonne intention, peut avoir « parfois pour résultat de renforcer la compétition entre eux et d’entraîner une meilleure survie de certaines espèces au détriment d’autres ».
Cet album m’a marquée plus que je ne pensais. J’en ai, dès la première lecture, apprécié la présentation aérée, un texte structuré sans être abrupt, un style simple, directement compréhensible aux non-initiés, une documentation précise. Les illustrations de Fleur Oury sont imprégnées de son amour pour la nature, de sa passion pour le dessin et de connaissances scientifiques ; elle nous offre tantôt de pleines pages vibrantes de mouvement, tantôt de petites scènes plus précises où affleurent le plus souvent sensibilité et émotion.
Séraphine Menu articule son exposé autour des questions depuis quand, pourquoi, comment « de moins en moins d’oiseaux réapparaissent dans l’hémisphère Nord au printemps. Les campagnes deviennent silencieuses, les forêts sont désertées et les villes semblent peuplées de bien peu d’espèces. Où sont donc passés tous les oiseaux ? »
A la fascination millénaire des humains pour les oiseaux s’opposent les ravages hallucinants de la chasse de certaines espèces pour raisons diverses : protection, nourriture, mode de plumes colorées… Mais actuellement, la disparition inquiétante de certains oiseaux s’explique par les atteintes provoquées aux écosystèmes et aux chaînes alimentaires naturelles par nos systèmes d’exploitation et de consommation. C’est de façon simple et lumineuse que l’auteure nous fait comprendre ces processus et notre responsabilité.
Mais l’auteure n’abandonne pas son lecteur en chemin ; elle lui montre différentes pistes pour « repeupler le ciel » ! Création de réserves pour espèces menacées, permaculture pour rétablir la biodiversité, influence de nos modes de consommation et aussi quelques gestes simples mais qui comptent, que l’on habite à la campagne ou à la ville : « Peu importe que l’on soit expert ou débutant, petit ou grand : nous sommes tous des ornithologues ! »
Chantal Cession