L’enfance est l’un des thèmes privilégiés du grand écrivain chinois Mo Yan, Prix Nobel de littérature 2012. Petit paysan de la province du Shandong, au sud de Pékin, il a connu nombre d’épreuves dont la pauvreté et la solitude. Dans La Bourrasque, il se souvient d’une journée marquante vécue avec son grand-père. « Mon grand-père et moi-même avons eu à affronter un petit ouragan qui nous a dépouillés, n’abandonnant qu’un unique brin d’herbe sur notre charrette (…). Dans ce duel improvisé avec ce grand vent, mon grand-père n’a pas plié, lui tenant tête, et moi en m’agrippant fermement à l’herbe du talus je me suis laissé emporter… » écrivait-il en mai 2022, à l’occasion de la parution de cet album adapté de l’une de ses nouvelles.
Il avait fallu se lever tôt ce matin-là pour atteindre une prairie sauvage éloignée de la maison. Le temps était brumeux, « seul le bruit des roues de la charrette s’élevait dans le silence ». Mais lorsque le soleil enchanta le paysage, le grand-père se mit à chanter une étrange mélodie aux paroles énigmatiques qui « promettait autant de bonheur que de douleur ». C’était la première fois que le grand-père emmenait là-bas son petit-fils de 7 ans. Ils y faucheraient une belle herbe, celle dont les bêtes raffolent. Et chacun de se mettre au travail jusqu’au moment où le garçonnet abandonnant sa faucille se mit à faire la chasse aux criquets… rôtis lors du déjeuner. Juste avant le retour, en fin d’après-midi, des nuages noirs s’amoncelèrent et un vent violent se mit à souffler, de plus en plus fort. En hâte, la charrette fut chargée. Ce fut alors un combat inégal entre les éléments déchainés, un vieillard et un enfant. Si la récolte fut perdue, Mo Yan garde le sentiment aujourd’hui encore que son grand-père et lui-même sont sortis « victorieux de ce face-à-face ».
Les illustrations de Zou Chengliang renforcent à la fois le pittoresque du récit et son réalisme. Que l’une d’elles en vision panoramique survole la ferme familiale isolée où l’on aperçoit le petit Mo Yan en train de nourrir les poules et la charrette qui sera au centre des événements, appuyée contre un mur ; qu’une autre nous donne froid dans la fraîcheur matinale lorsque se détache la silhouette estompée du grand-père dont on entend le rythme régulier des pas lorsqu’il pousse la charrette où Mo Yan a pris place ; que d’autres dépeignent le visage raviné du vieil homme, sa bouche grande ouverte ou sa peau tannée par le soleil et par l’âge ; que d’autres encore reproduisent la gestuelle qui rend la faucille efficace.
L’enchaînement des images, les variations de plan et de format, le rendu du mouvement confèrent à l’album une dimension cinématographique qui culmine dès que les premiers signes de la catastrophe sont perceptibles : le moment où les animaux pris de panique courent et volent en tous sens. Pour rendre la démesure de l’ouragan qui fait tourbillonner l’herbe en plein ciel, qui soulève le gamin le faisant valdinguer, tandis que le grand-père s’accroche désespérément aux bras de la charrette, Zou Chengliang introduit une rupture dans la manipulation de l’album. Comme si le souffle du vent s’engouffrait dans le livre, dispersait l’herbe dans les airs, obligeant le lecteur à redresser l’album en le verticalisant.
Mo Yan souhaite que le récit de cette épreuve qu’il a connue enfant encourage les petits lecteurs à affronter l’adversité. « Le vent passera , et nous serons toujours debout ».
Michel Defourny