Première histoire « au carré » – celle de Peter Pan.
Première case – le jeune héros emmène Wendy et ses frères vers le Pays imaginaire.
Première impression – le lecteur est entraîné dans une aventure artistique imprégnée d’une extrême épure.
Dans ce nouvel album, Loïc Gaume s’empare d’illustres récits jeunesse – des « classiques » qui ont bercé et marqué nombre d’enfants et d’adolescents – et les exporte dans un microcosme littéraire et graphique tout entier construit de ses mains. Ils deviennent méthodiquement et minutieusement « ses » classiques, architecturés comme suit : un monde en quatre cases, esquissé de quelques traits noirs, ponctué de formes colorées, raconté en huit phrases. Passé le classique de James Matthew Barrie qui inaugure l’opus, et nous impressionne d’entrée de jeu par son condensé absolu, ce sont ceux de Rudyard Kipling, de Frances Hodgson Burnett, de Lewis Carroll, de Louisa May Alcott, de Mark Twain, de Enid Blyton, de Jack London, d’Arthur Conan Doyle (et on en passe…) que filtre « sous contrainte » Loïc Gaume, avec une exigence fine et constante : celle de la quintessence narrative.
On le sait : avant les « Classiques au carré », Loïc Gaume s’est attelé aux contes et aux mythes, conçus sur le même procédé de narration graphique et textuelle. Un procédé des plus audacieux qui se démarque par sa singularité visuelle et sa condensation du verbe. Un processus génialement pensé et savamment maîtrisé dans chaque titre. Un système rigoureusement articulé autour de contraintes comme il vient d’être dit, mais également de contrastes (clin d’œil à Anne Quévy).
Avec ses « Classiques », Loïc Gaume excelle une fois encore à nous dévoiler sa trame ouli/ba-pienne : une vision hyper densifiée, schématisée, minimaliste du récit… C’est des plus convaincants, et c’est aussi captivant – faire contenir Alice au pays des Merveilles dans quatre cases et huit phrases, quelle prouesse ! Et que dire des Trois Mousquetaires aux nombreux rebondissements romanesques, du Voyage au centre de la terre aux multiples descriptions et extrapolations scientifiques ou de L’enfant et la rivière à l’atmosphère si poétique et sensible à la nature… A chaque fois, Loïc Gaume objective à l’extrême le récit et, pour ne rien gâcher, en offre une relecture truculente, vivante, ludique.
Soulignons la gageure supplémentaire à laquelle s’est confronté l’auteur dans la réécriture de ses « Classiques » : celle de l’hétérogénéité structurelle et émotionnelle des récits dont il s’est emparé, là où contes et mythes épousent une nomenclature narrative plus organisée et archétypale.
Loïc Gaume nous assure qu’il ne poursuivra pas l’aventure « au carré » au-delà des classiques pour l’enfance et la jeunesse. On rêverait pourtant qu’il s’empare cette fois d’écritures théâtrales : imaginer ainsi Hamlet de Shakespeare, La Voix humaine de Cocteau, L’Amante anglaise de Duras… en quatre cases !
Brigitte Van den Bossche