S’il est d’usage de lire un livre à son enfant, il est tout à fait tentant pour appréhender pleinement celui-ci de le tendre au vôtre et d’inverser les rôles. Car si petits soient nos petits, il nous arrive pourtant d’être bien plus minuscules qu’eux.
Un jour, Elvire rentre chez elle et trouve sa maman en pleurs, rétrécie, mini comme une souris. Elvire se retrousse les manches et s’occupe de tout : en avant les mouchoirs ! Elle les sort un à un de leur boite. Sa mère les remplit de chagrin par centaines, on pourrait se noyer dans un océan de mouchoirs souillés. Elvire lui improvise ensuite un tout petit bain, dans un bol. Elle trouve chez ses poupées des habits à la taille lilliputienne de sa pauvre mère. Elvire s’agite et se tracasse.
Malgré les apparences, la mère demi-portion prend beaucoup, beaucoup, BEAUCOUP de place dans la tête d’Elvire et dans la maison. Une minuscule maman, ça déborde parfois sur l’espace de l’enfant.
Quand la maman d’Elvire retrouve à petits pas le goût léger de la vie et le dehors qui la loge, Elvire ne sait plus bien où est sa place. Elle est saisie par un sentiment de colère : elle fait n’importe quoi, pourvu que ce soit en chambard. L’attention escomptée de sa maman ressuscitée manque au rendez-vous.
Mais la mère n’a pas oublié sa petite : elle parvient à lui montrer qu’elle est bien présente dans ses pensées. Et les excuses ne seront pas nécessaires là où elles peuvent se dire l’une à l’autre combien « parfois, on est vraiment petit ». Réajustements faits, l’équilibre se rétablit. Nul n’est à l’abri de la fragilité.
On se délecte du travail graphique haut en couleurs de Bénédicte Muller. L’artiste nous précise travailler ici l’encre de chine et la gouache au pinceau. Sa technique donne une impression de relief, de coupes et de découpes, entre les surfaces texturées par de minutieux dégradés et les surfaces mates. A noter que le chat qui accompagne Elvire et sa maman tout le long de l’album est toujours dessiné au crayon, évocation d’une présence subtile et énigmatique !
L’autrice-illustratrice Bénédicte Muller, diplômée de l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, signe en 2019 ce premier ouvrage, déroutant par sa puissance psychologique.
Dans une librairie, « La minuscule maman” est un album caché entre 10 autres qui vous fait un clin d’œil timide. Parfois on cherche un livre, parfois, c’est un livre qui vous cherche. « On se connaît, non ? » Bien sûr que oui. Car il nous est tous et toutes arrivé un jour d’être minuscule, bien plus minuscule que notre tendre progéniture.
Barbara Beuken