Trois frères et leur sœur cadette traversent en voiture, dans une
chaleur écrasante, un paysage montagneux et aride. L’attention de la
fillette est attirée par quelques fleurs blanches clairsemées non loin de
la route. Elle propose à ses frères de s’arrêter pour en cueillir quelques
-unes et les offrir à leur maman qu’ils vont rejoindre. Arrêt, pied à terre, cueillette… une soif suffocante les gagne. « Un peu
plus loin sur le chemin se dresse un bâtiment silencieux », l’espoir d’un
verre d’eau les gagne, mais la petite fille, méfiante, tente de
dissuader ses frères.
D’abord étrange, le récit se fait plus surprenant et mystérieux.
« L’hôtel » semble vide, mais la porte s’ouvre, laissant découvrir une table chargée de mets. On dirait qu’ils sont attendus. Ses frères se rassasient puis se baignent dans le bassin d’eau fraîche. Oppressée, leur sœur les appelle à continuer leur route… En vain. Ses trois frères semblent envoûtés !
C’est alors qu’elle rencontre « l’Oracle » ; celui-ci va la mettre à
l’épreuve si elle veut vraiment délivrer ses frères et partir de là.
Ce récit s’appuie sur certains éléments d’un conte classique,
mais sa structure originale crée une atmosphère moins angoissante que fascinante. Dès la page précédant celle du titre, sous l’ image d’un arbre mort mais fleuri de roses blanches, un poème mystérieux, comme une prémonition : la tonalité est donnée… De quelques mots fredonnés par le frère aîné, il s’avère que ce texte est celui d’une chanson que chantait leur maman. Une fin énigmatique laisse se déployer l’imaginaire sur la complicité de la fillette
et de sa maman autour d’un secret partagé… Le secret des sables ?
Les images de l’album alimentent elles aussi l’imaginaire que le texte
seul, tout en sobriété, ne fait que suggérer. Les couleurs en dégradés de gris, noir, beige et blanc créent l’ambiance mystérieuse et inquiétante que quelques notes de couleurs douces – bleu pâle, orangé, rosé… – ravivent encore.
L’expressivité des visages et des attitudes est remarquable. Dès la couverture, j’ai été frappée par le visage de la fillette où se lit l’appréhension, voire une supplique peut-être ? Le lion, qu’elle ne voit que de dos, impressionne par sa taille, par sa crinière comme une longue chevelure ondulée et une expression de détermination obstinée. Néanmoins, les deux pieds de la fillette bien posés au sol, la patte avant droite du lion posée sur le même plan, semblent affirmer autant de ténacité chez l’une et chez l’autre. Le dos du lion dessine une ligne
oblique qui se prolonge dans l’ombre de la silhouette de la petite fille et du bouquet qu’elle tient en mains, soulignant le contraste de leurs tailles. La froideur rectiligne d’un muret décoré d’un objet pyramidal contraste avec les ondulations d’une branche tourmentée décorée d’une petite boule dorée…Deux personnages et deux symboles. Particulièrement sensible aux lignes dans les illustrations, je pourrais passer dans cet album des heures à les observer !
Levi Pinfold nous livre ici un album splendide dans son unité et sa force. Mon imagination en reste imprégnée durablement.
Chantal Cession