Thierry Dedieu relève un fameux défi ! Il propose aux enfants de lire du Racine… Oui, vous avez bien lu, il propose un épisode des plus célèbres de Phèdre de Jean Racine, tragédie écrite en alexandrins, inspirée par la mythologie grecque et créée à Paris en 1677. Thierry Dedieu met en scène et en images le récit de la mort d’Hippolyte raconté à l’intention de Thésée, par Théramène qui fut le précepteur du héros (Acte V, scène 6).
A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char ; ses gardes affligés
imitaient son silence, autour de lui rangés.
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes.
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes.
Pour ce faire, Thierry Dedieu brise un tabou puisque le théâtre classique interdisait la représentation sur scène de toute violence, celle-ci ne pouvant qu’être décrite verbalement. Vers après vers, quelquefois bloc de vers après bloc de vers, et, d’autres fois encore, hémistiche après hémistiche, l’artiste montre le déroulé de l’action dans un remarquable découpage. Les plans se succèdent comme dans un film, plans panoramiques, rapprochés, gros plans. Tandis que d’audacieux cadrages, des incrustations de vignettes, des décompositions de mouvements sont empruntés aux codes de la bande dessinée, de pleines et doubles pages, comme dans un album, manifestent l’insoutenable violence qui sous-tend le texte de Racine.
Par-delà, on ne peut qu’être subjugué par la puissance du trait de Thierry Dedieu, le rendu du mouvement et l’usage qu’il fait de la couleur. Voyez Hippolyte conduire son char, scrutez les expressions de son visage. Voyez l’émoi suscité par le cri qui précède l’apparition du monstre prêt à surgir des flots. Effrayant ! ce dragon cornu, impétueux, démesuré, couvert d’écailles, à la croupe recourbée en replis tortueux, qui terrifie les chevaux éperdus. Voyez sa rage… et sa gueule flamboyante lorsqu’il se tord de douleur, blessé par le javelot du fils de Thésée. Laissez-vous émouvoir par les deux doubles pages – insupportables – où le corps du héros couvert de plaies au sang noir, est traîné par ses coursiers affolés.
L’emploi de couleurs sombres enténèbre l’atmosphère tandis que le rouge, associé à Hippolyte, son char et ses gardes, magnifie sa vaillance désormais mise à mal.
Et l’on se prend à lire et répéter à haute voix les vers rythmés et imagés de la tirade de Théramène, emporté par l’étonnante musique et la beauté de la langue envoûtante de Jean Racine.
Pari réussi !
Michel Defourny