Les affreux barbares vont franchir la frontière !
Depuis que le crieur public en a fait l’annonce avec son porte-voix, la ville est affolée.
La rumeur dit qu’ils seront là avant la fin du jour.
On s’alarme.
Par où attaqueront-ils ?
Par la forêt si sombre puisque le noir ne les effraie pas ! Par la montagne puisque, couverts de poils, ils ne craignent pas le froid glacial ! Par la rivière peut-être, puisque, dit-on, ils savent retenir très longtemps leur respiration dans l’eau profonde.
Les barbares seront aux portes de la ville avant le déjeuner. Il faut fourbir les armes, sortir les canons. Midi… Quatre heures… Rien ne se passe. L’attente est vaine. II faut en profiter pour hisser les drapeaux, se couvrir la poitrine de médailles. Sept heures trente… Pas d’ennemis en vue. Décidément les barbares ignorent ce qu’est la ponctualité. Impossible de compter sur eux. Trois jours viennent de passer… Les barbares ne viendront plus. Certains prétendent à présent qu’ils n’existent pas. Il faut ranger les armes.
Mais que fera-t-on sans les barbares ?
Olivier Tallec adapte librement un poème célèbre de l’écrivain grec Constantin Cavafy (1863-1933). Il raconte la crainte de l’autre qui inquiète et menace. Il raconte le bruit qui se propage, s’amplifie et justifie l’adoption d’une politique sécuritaire, rassurante pour la population. Olivier Tallec confronte son lecteur à « l’ineptie quotidienne » dont nous sommes victimes tant sont aveuglants les pouvoirs de la rumeur.
Pour traduire visuellement l’hystérie collective des défenseurs de la ville, qui montent aux créneaux, scrutent l’horizon, brandissent leur sabre, sortent les canons des caves, mesurent le temps, se parent de médailles, les pages d’Olivier Tallec se font caricaturales, comiques et graves. Il y a du ridicule dans les mimiques et derrière les mouvements de ces petits personnages aux yeux ronds et dont les nez pointus pointent vers l’avant. Vêtus de noir, coiffés de haut chapeaux noirs, ils se confondent et s’agitent en tous sens, victimes d’une pensée unique.
Un album pour réfléchir
Michel Defourny


