De prime abord, cet album a l’air d’un catalogue de formes simples, plutôt organiques et abstraites. Des Formes colorées qui semblent en suspension sur une surface blanche, pure, neutre. Associé à chacune de ces figures, un mot est inscrit verticalement en lettres majuscules sur le bord droit de la page. Il s’agit d’un nom commun, dédoublé de façon systématique : de genre masculin d’abord, il se féminise grâce à l’ajout d’une ou plusieurs lettres – coup.e / mandarin.e / roquet.tte / jumeaux.elles / poudrier.e…
Ce mot, on s’en rend compte au fil des pages, a été délibérément choisi par l’artiste pour l’altération de sa signification dès lors qu’il est féminisé. Autrement dit, le changement de genre induit une variation de sens, de contenu, d’acception.
Dès lors, ce qui apparaissait au premier coup d’oeil comme un catalogue de motifs élémentaires se métamorphose en un imagier complexe, à la portée fertile et d’une conception ingénieuse : une fois soulevée la page-volet comportant l’élément anodin, deux images « interprétatives » se déploient conjointement. Chacune d’entre elles est composée à partir de cet élément et l’une comme l’autre renvoient à une identification nominale propre. L’ensemble est en fait constitué d’une succession de triptyques qui cumulent effet de surprise, malice, subtilité et drôlerie ; une succession de tableaux qui exposent d’abord une forme imaginaire et un mot « genré », et révèlent ensuite leur déclinaison en deux compositions nuancées.
Un genre d’imagier joue avec les mots et et les images. Sa simplicité formelle, son substrat poétique, sa dimension ludique lui confèrent une belle originalité. Une particularité à souligner, d’ordre graphique : l’imagier fonctionne sur un mode de contrastes. La rigidité de l’inscription se frotte à l’aspect courbe et au coloris des formes (volet 1) ; la composition figurative contenue dans chaque triptyque tranche avec l’abstraction formelle du premier tableau.
Anne-Emilie Philippe signe un album construit avec intelligence et finesse, imprimé en risographie et relié « avec amour » – selon les dires de l’artiste figurant dans l’ours final. Un opus marqué par sa sobriété graphique rehaussée de huit couleurs distinctes, dont un rose fluo et un jaune éclatant.
Brigitte Van den Bossche
+++Chronique réalisée pour l’Association Belge pour la Littératie-section francophone / ABLF > https://www.ablf.be +++