Je suis étrangère au monde du jeu d’échecs.
Mais, procédant de la même manière que celle que je propose aux enfants lors de la présentation des albums du prix Versele, je manipule cet album et observe les 1ère et 4e de couverture pour commencer… Que nous disent-elles ? Quels indices du contenu puis-je y découvrir ?
Le titre : « Le Pousseur de Bois » : l’expression éveille ma curiosité, mais la main qui tend une figurine de « cavalier » me met sur la piste et je découvre que « Pousseur de Bois » désigne en effet un joueur d’échecs. Mais alors pourquoi le texte de résumé nous parle -t-il de la capacité de ce joueur à déplacer, non pas les pièces mais les montagnes et à « faire basculer le destin » ? Je fais le rapprochement avec l’enfant représenté sous le titre : un garçon engoncé dans une armure, le pas décidé ; sur l’épaule une fine et longue épée ; sur le visage une expression très déterminée : est-ce parce qu’il déplace des montagnes ou qu’il fait basculer un destin ? le sien ? celui d’autrui ? Sa silhouette à l’avant plan apparaît sur un fond noir tandis que de nombreuses coupoles se dessinent en arrière-plan – l’Inde peut-être ? HongFei peut conforter cette hypothèse quand on se rappelle que celui-ci s’est donné pour objectif de publier des livres « qui tous ont trait à trois thèmes majeurs : le voyage, l’intérêt pour l’inconnu et la relation à autrui ».
J’ouvre l’album. En page de titre, à droite, les trois couleurs de la couverture se retrouvent sur fond blanc : bleu turquoise pour le nom de l’auteur-illustrateur, orange pour le titre et le nom de l’éditeur, un noir profond pour l’ombre des figurines du jeu d’échecs. La page de gauche crée un contraste très fort, entièrement noire ; nous y lisons la dédicace A Vera Braun-Lengyel. Graveuse, dessinatrice et artiste-peintre d’origine hongroise, elle fut la professeure de Frédéric Marais pendant une dizaine d’années. Ses œuvres furent exposées dans différents pays ; elle a également illustré des ouvrages pour enfants au Gai savoir, chez Gallimard, Hachette, Hatier… Elle a notamment illustré un texte de Nata Caputo (« Papa souris », à La Farandole) et de Léopold Chauveau (« Petit tour de France » parmi les Albums du Gai savoir).
Je trouve dans cet album une forme de parenté avec Tierry Dedieu dans « Yacouba » ou « Kibwe » par exemple : forte présence du noir, récit extrêmement concis mais qui touche à l’essentiel.
En quelques doubles pages et pas beaucoup plus de lignes, Frédéric Marais retrace le destin étonnant d’un enfant des rues en Inde qui devint un joueur d’échecs mondialement réputé, à l’image de l’indien Mir Malik Sultan Khan dont Frédéric Marais s’est « librement inspiré » .
Au-delà des péripéties de la vie de cet enfant des rues « qui ne possédait rien » et auquel un vieux fou fit don non pas de nourriture ou d’argent mais de « différentes petites pièces de bois », c’est de valeurs profondément humaines dont nous parle cet album. En jouant avec l’enfant, le vieux fou lui explique comment déplacer ces pièces et, pour captiver son attention, il lui raconte des histoires . C’est ainsi qu’il lui fit don d’un trésor. Transmission, imagination, intelligence, fierté, humilité, générosité, respect se lisent entre les lignes de ce magnifique album.
Les trois couleurs dont se sert exclusivement Frédéric Marais donnent à ses illustrations une densité émotionnelle perceptible dès la couverture. Son trait se saisit de ce qui importe pour alléger le texte, tels ces deux pieds nus émergeant d’une couverture couvrant à même le sol « un garçon qui ne possédait rien »…
Chantal Cession