Monsieur Firmin a 90 ans. Invité à se rendre chez sa fille pour fêter son anniversaire en famille, il doit traverser un désert qui fourmille de bestioles plus dangereuses les unes que les autres. La chaleur y est brûlante et l’on y meurt de soif. Le dos voûté, sa canne à la main droite, son ombrelle dans l’autre, un sac à dos accroché aux épaules, une bouteille d’eau pétillante en réserve, le vieux Monsieur Firmin s’est lancé dans l’aventure. Les risques sont tels qu’il lui arrive cependant de douter. Arrivera-t-il à destination, d’autant qu’après avoir échappé à un Spondule à deux têtes, à un Gonzon à pois mauves, à un Lubriole à quarante pattes, il doit faire face au plus terrible des monstres qu’enfanta le désert. Mais que se passe-t-il ? Le redoutable Zagobert est couché sur le sol, les pattes de traviole ! Monsieur Firmin a tout compris, il partage aussitôt sa bouteille d’eau avec le pauvre animal. Revigoré, celui-ci saisit son généreux sauveur et l’installe à califourchon sur son dos. Le Zagobert et Monsieur Firmin fendent l’espace, survolant d’énormes rochers déchiquetés, des centaines de cactus piquants et une forêt d’arbres morts. Et le vieux monsieur d’arriver sans encombre chez Miranda où les siens l’attendaient afin qu’il souffle les neuf bougies de son gâteau d’anniversaire.
Dans cet album, le trait à l’encre de Quentin Blake est plus brisé et brouillé que jamais. Ce qui renforce le côté à la fois fantastique et farfelu des monstres qu’il met en scène et accentue le côté inquiétant du décor. L’aspect « griffonnage » du portrait de Monsieur Firmin à l’allure don quichottesque – véritable caricature de vieillard – fait ressentir dans un premier temps la vulnérabilité du grand âge qui se doit d’éviter tout affrontement. Dans un second temps, chacun est gagné par l’émotion tant l’étonnement et la compassion sont lisibles dans la gestuelle surexpressive de Monsieur Firmin. Impressionnante l’image qui le montre concentré et penché vers l’avant afin de vider dans la gueule du Zagobert les dernières gouttes de sa bouteille d’eau. On notera que, comme à son habitude, l’artiste relève ses dessins à l’aquarelle, vivifiant et poétisant ses images. Des images tellement parlantes et narratives que l’on pourrait aisément se passer de texte, les enfants se révélant meilleurs décodeurs que les adultes qui réclament un soutien verbal.
En quatrième de couverture l’éditeur insiste sur la portée morale de l’album : « Le génial Quentin Blake nous offre une histoire qui rappelle combien générosité et entraide sont essentielles. » Sans doute, l’éditeur a-t-il raison. Mais ne peut-on rapprocher Monsieur Firmin de Quentin Blake ? Indéniable coïncidence qui ne peut être fortuite : tous deux ont nonante ans ! Autorisons-nous à percevoir dans cet album une dimension autobiographique déguisée. La confrontation au grand âge et à ses affres, suivie d’une leçon de sagesse, à savoir le rejet des apriori et la confiance en la vie.
Michel Defourny