Le Petit Chaperon rouge, Beatrix Potter et Helen Oxenbury – Kaléidoscope 2019

En 1912, Beatrix Potter adapte Le Petit Chaperon rouge. A ma connaissance, son récit ne sera révélé au public que très tardivement, lorsque Leslie Linder publiera, en 1971, A history of the writings of Beatrix Potter : including unpublished work, chez l’éditeur historique de la créatrice de Pierre Lapin, Frederick Warne &CO.

En 1912, ses titres les plus célèbres sont parus, à commencer par Pierre Lapin en 1902, suivi, entre autres, par Le Tailleur de Gloucester en 1903, Jeannot Lapin en 1904, Madame Piquedru en1905, Jérémie pêche à la ligne en 1906, Sophie Canétang en 1908, La Famille Flopsaut en 1909… Sans doute est-ce pour se faire plaisir qu’elle s’adonne à la réécriture de Red Riding Hood, elle qui prétendait n’avoir jamais grandi ! 

La version du Petit Chaperon rouge de Beatrix Potter suit presque pas à pas celle de Charles Perrault qui se termine aussi cruellement qu’abruptement, à la différence de celle des frères Grimm tellement rassurante. Mais alors que Perrault réduit sa narration à l’enchaînement des faits, Beatrix Potter réserve une large place à la description du paysage. La campagne anglaise qu’elle connaît si bien l’inspire. D’un village à l’autre, de la maison de la maman au cottage de la grand-mère, le chemin serpente à travers les prés. Marguerites et pissenlits y fleurissent tandis que l’ombre des bouleaux joue avec le vent. La forêt est toute proche. Des fraises des bois prêtes à la cueillette luisent dans l’herbe, rouges comme des boules de houx. Et près de la cabane à outils de la mère-grand… en son jardinet… des pois et, bien sûr, des choux comme en cultivait Monsieur MacGregor.

« Dès que j’ai lu ce texte de Béatrix Potter, j’ai su que j’allais l’illustrer », écrit Helen Oxenbury, dans l’avant-propos qui ouvre l’album remarquablement traduit par Rose-Marie Vassallo, chez Kaléidoscope, en 2019. C’est que le monde champêtre anglais dans lequel baigne ce récit séduit tout autant Helen Oxenbury que Beatrix Potter. Ses dessins à l’aquarelle rendent à merveille la beauté des paysages évoqués dans le texte. Qu’il s’agisse des prés d’un vert tendre ou des champs parsemés de fleurs sauvages où rayonne souvent le rouge des coquelicots, qu’il s’agisse d’un chemin que longe une clôture ou une palissade ou encore d’un sentier isolé traversant un vaste espace ouvert sur l’horizon. Par-delà la poésie de la nature, Helen Oxenbury se plaît à traduire le bonheur de vivre en ces lieux où tout paraît harmonieux. On le perçoit dans la tendresse du geste maternel lorsque, dans la cuisine, elle confie le petit panier à sa fille. On le perçoit lorsque l’artiste met en scène les bûcherons au travail dont le chant retentit à travers le bois du voisinage. On le perçoit encore à la vue du cottage fleuri de la mère-grand.

Restait à camper les personnages. Le Chaperon rouge est ici une belle petite fille au visage avenant, elle semble avoir sept ou huit ans. Elle est suffisamment grande pour se promener seule entre prés et forêt. A cet âge encore naïf, l’on accorde sa confiance aux inconnus qui vous abordent ! Ses expressions éveillent la sympathie. En fillette sage, elle relève la tête pour que sa maman achève la confection de son chaperon. Elle ferme les yeux lorsque, accroupie, elle respire le parfum d’une fleur. Elle nous émeut lorsque l’inquiétude se lit sur son visage au moment où elle s’aperçoit que le soleil se couche. Elle nous fait frissonner lorsque, étonnée, elle interroge le loup qui prépare son « sale » coup.

Helen Oxenbury se montre fidèle aux habitudes de Beatrix Potter qui habillait ses animaux. Son loup porte des vêtements ; s’ils paraissent quelque peu usés, ils témoignent d’une certaine élégance. La première fois qu’il apparaît, derrière un portillon, «  famélique » selon l’expression de l’illustratrice, il semble affaibli par l’âge, mais à la page suivante, à la vue de la fillette, il se redresse tout en s’appuyant sur sa canne. Au fur et à mesure que progresse le récit, la fourberie de l’animal devient de plus en plus évidente. Après s’être étiré, il retrouve une vigueur qui culmine au moment où il se précipite sur la vieille dame. Enfin, c’est tout doucereux, en séducteur hypocrite, qu’il accueille l’enfant, la faisant asseoir à ses côtés avant le fameux échange de propos. « C’est pour mieux t’embrasser… pour mieux t’entendre… pour mieux te voir… mieux te manger, mon enfant ! »

Restait à imager la fin du conte : une phrase brève, sous la plume de Beatrix Potter, qui dit l’horreur en se taisant. « Et ainsi finit le Petit Chaperon rouge ». Derrière la froideur de ces mots qui concluent définitivement le récit, Helen Oxenbury décèle de l’humour. « J’ai trouvé qu’il y avait de l’humour quant à l’issue de l’histoire dans cette idée de la grand-mère et du Chaperon rouge avalés si rondement. » Aussi a-t-elle imaginé une image finale ouverte, une double page pleine de malice où perce une lueur d’espoir. On y voit trois bûcherons poursuivre le loup désormais débraillé tant son ventre est gonflé. Incapable de courir, il avance d’un pas résolu, mais sans doute sera-t-il vite rattrapé. Et alors … ! Peut-être sera-ce comme chez les frères Grimm ! On peut rêver.

Aux illustrations en couleurs, Helen Oxenbury a joint des croquis au crayon noir. Les uns focalisent l’attention sur l’un ou l’autre objet comme une bobine de fil, la canne du loup, son pantalon jeté par terre au moment où il enfile les vêtements de la grand-mère. D’autres complètent la narration : tandis que le loup se met à courir, le Chaperon Rouge traînaille, cueille des noisettes et s’applique à composer son bouquet. D’autres enfin élargissent visuellement la description textuelle ; ainsi en est-il du paysage qui montre le moulin et par-delà le village. La portée symbolique de l’un d’entre eux fait froid dans le dos. Lorsque la fillette s’est mise en route, en contre point de la grande image toute en couleurs douces, l’artiste a dessiné sur la page voisine une toile d’araignée : l’araignée s’avance vers sa victime prise au piège.

Dernière coquetterie d’Helen Oxenbury : les pages de garde de son album. Elles proposent une carte en laquelle se lit l’espace où l’histoire va se dérouler. Les lieux sont imagés, les protagonistes sont en place. Le conte peut commencer : « Il était une fois, dans un village, la plus adorable des petites filles… »

Michel Defourny

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