C’est un nouveau défi que relèvent Dominique Ehrhard et Anne-Florence Lemasson dans leur dernier pop up paru chez Les Grandes Personnes. Ils se confrontent, cette fois, au monde animal tel que perçu par 5 artistes créateurs de figures emblématiques. Quel bonheur de les passer en revue !
C’est un drôle d’oiseau qui ouvre l’album. Il est sorti de l’imagination du peintre visionnaire qu’était Jérôme Bosch qui lui a donné vie en 1501, dans son triptyque La Tentation de saint Antoine conservé à Lisbonne. Il est visible dans le bas du volet gauche. Dominique Ehrhard vient de lui donner une seconde vie. Le rendu en trois dimensions de cette créature bizarre est parfait. Son incongruité la rend attachante. Elle est bossue, chaussée de patins à glace et curieusement coiffée d’un entonnoir. Elle tient dans son bec une lettre dont on se demande à qui elle est destinée, fait observer Anne-Florence Lemasson dont les commentaires accompagnent avec sensibilité et érudition les « 5 Animaux » présentés dans cet album.
Le Rhinocéros d’Albrecht Dürer (1515) nous est des plus familiers, tant l’œuvre du maître allemand fut reproduite et imitée au fil du temps. Sa carapace plissée transformée en véritable cuirasse n’a cessé de fasciner par son étrangeté, de même que sa corne. Une fois de plus, Dominique Ehrhard réserve une surprise puisque, surgissant de la gravure sur bois, il se dresse devant nos yeux ébahis. Par contre l’émotion nous étreint lorsque nous lisons quel fut le destin tragique de l’animal qui servit de modèle.
Démultiplié et « marchandisé » jusqu’à l’écœurement, L’Ours blanc de François Pompon (1928), si souple dans son déplacement, connaît ici, dans sa magnifique blancheur, une légère métamorphose qui fait redécouvrir ses formes. Dominique Ehrhard a opté pour un volume légèrement anguleux tout en contraste avec l’image de couverture en aplat qui souligne le côté lisse de l’œuvre originale visible au Musée du Quai d’Orsay à Paris.
Pour représenter La Chèvre, le plasticien aurait pu choisir celle de Pablo Picasso (1950). Il a préféré celle de Robert Rauschenberg (1959), une sculpture-assemblage qui, elle aussi, fait un pied de nez à la réalité. Tout en annonçant le pop art, l’oeuvre se fait l’héritière des compositions dadaïstes. Autant cette accumulation d’éléments disparates et saugrenus – longs poils de la chèvre angora, museau et oreilles maculés de peinture, pneu automobile qui la ceint… – rend la sculpture énigmatique, autant celle-ci se prête à l’art de la décomposition/recomposition, du dépliement/redéploiement. Comme pour chacun des « animaux », Anne-Florence Lemasson évoque le contexte dans lequel l’œuvre a vu le jour et, dans ce cas précis, elle éclaire le choix du titre « Monogram ».
Avec le cinquième « animal » qui appartient à l’ordre des arachnides, c’est le vide qui est au cœur du pop up : une performance ! Les araignées monumentales de Louise Bourgeois (1999), hautes de près d’une dizaine de mètres, appelées « Maman » par l’artiste en souvenir de sa mère tisserande, s’inscrivent dans le paysage de Londres, Bilbao, Ottawa, Tokyo, Saint-Pétersbourg. En faisant ressentir le gigantisme de l’œuvre, Dominique Ehrhard suscite chez le lecteur l’envie de se joindre aux passants qui, exorcisant leur peur, déambulent entre les huit pattes de bronze ou s’arrêtent sous l’abdomen de la maman « protectrice et terrifiante » afin de dénombrer les 26 œufs de marbre blanc contenus dans la poche grillagée qui y est accrochée.
Dominique Ehrhard et Anne-Florence Lemasson ne cesseront jamais de nous surprendre et de nous émerveiller.
Michel Defourny