En novembre 2017, Mary Schafer, directrice du Musée d’art Nelson-Atkins de Kansas City, fit part de la drôle de découverte qu’elle avait faite, alors qu’elle étudiait « Les Oliviers », un tableau peint par Vincent Van Gogh durant l’été 1889. Scrutant les différentes couches de couleurs, elle avait trouvé des traces d’ailes et de pattes d’une sauterelle, invisibles à l’œil nu. Rien de vraiment étonnant cependant lorsqu’une peinture est exécutée à l’extérieur et dans le grand vent qui soulève poussière de sable, mouches et moucherons, ailes de papillons ou carapaces d’insectes morts.
Il n’en fallut pas davantage pour que Caroline Lamarche et Pascal Lemaître s’envolent et nous fassent rêver. Caroline Lamarche imagina l’histoire d’une sauterelle qui chercha refuge auprès de Vincent pour échapper aux jeux malveillants des enfants du coin. De son côté, raconte-t-elle, Vincent fut fasciné par la couleur verte de l’insecte, alors même que les feuilles grises des oliviers et leur ombre violette l’envoûtaient. Et tandis que Tetti s’émerveillait devant la beauté du paysage, l’artiste peignait frénétiquement, tous deux se mesurant au temps. Un temps de vie qui touchait à sa fin pour la sauterelle au destin fragile et éphémère, appelée à mourir à la fin de l’été. Un temps compté pour Vincent qui, l’année suivante, mettrait fin brutalement à sa vie.
Derrière la rencontre improbable d’une sauterelle et d’un artiste, Caroline Lamarche se livre à une méditation sur les couleurs chères à Van Gogh, sur l’ombre et la lumière, sur le vent qui rend fou, sur la brièveté de la vie, sur la mort et la survie. Peut-être le jeune lecteur sera-t-il intrigué par le nom donné à la sauterelle ? Sans doute Caroline Lamarche s’est-elle inspirée du grec ancien « tettix », qui signifie « sauterelle », un mot censé imiter la stridulation de l’insecte.
En regardant les illustrations de Pascal Lemaître, c’est une superbe composition musicale que j’ai entendue, en nuances et en couleurs. J’ai entendu les cris des enfants qui se moquaient du pensionnaire de l’asile des fous et leurs éclats de rire lorsqu’ils attrapaient des sauterelles. J’ai entendu le silence qui régnait dans la chambre lorsque Vincent, les yeux écarquillés, semblait égaré. J’ai entendu un lent récitatif lorsqu’étendu dans l’herbe, il s’étonnait en contemplant la petite bestiole verte « d’un vert si vert qu’il est plus beau que le vert ». Les cordes frottées des violons avec véhémence, répondant aux stridulations des ailes de Tetti, ont envahi mon espace sonore, comme celui de la double page, lorsque tout en mouvement le peintre s’acharne sur ses tableaux. Et ce sont des variations au violoncelle qui m’ont fait vibrer lorsque Tetti, en gros plan, cherche l’ombre ; lorsque, épuisée, elle tente d’échapper au vent qui déchire et démembre ; lorsqu’elle résiste s’agrippant à un coquelicot en fleur, avant d’être emportée par le mistral et de rejoindre pour toujours les « Les Oliviers » que peignait Vincent.
Michel Defourny