Un objet d’artiste au design minimaliste
Une fois retiré de son emboîtage de couleur bleue, le livre – mais est-ce un livre ? – se présente sous la forme d’un feuillet à déplier, du haut vers le bas. En première page, sur fond blanc, une jeune fille dessinée au trait s’avance sous une pluie fine. Elle se confie. « Je connais peu de mots ». Passé le premier pli, nous la découvrons accroupie, elle se risque à plonger les pieds et les mains dans une étendue d’eau qui bientôt envahit de plus en plus l’espace. Celle-ci se fait houleuse, tandis que les réflexions de la jeune fille prise dans la tourmente, menacée de noyade, traduisent un profond désarroi. La métaphore est évidente : nous avons compris que les difficultés d’apprentissage d’une langue étrangère sont devenues cauchemar.
Il y a tellement de règles
et encore plus d’exceptions
je pense parfois que ma tête est trop petite
Mais la parole délivre… et force est de constater, en repliant dans l’autre sens les pages vers le haut, que les progrès de la jeune fille sont notoires et que peu à peu elle reprend confiance en elle. Les fautes de grammaire ont cessé de la culpabiliser.
Je parlerai cent fautes un jour
La densité de la pluie si oppressante s’atténue, les pages s’éclaircissent. L’espoir renaît. Découvrir une nouvelle langue, une nouvelle culture, c’est aller de l’avant, c’est élargir son horizon, c’est communiquer, même si au début l’on ne connaît que peu de mots.
Chacun, fille ou garçon, se reconnaîtra sans doute dans le personnage féminin, très légèrement sexué, dessiné avec grâce d’après les poses élégantes de Bianca Zueneli qui a servi de modèle à l’artiste, ainsi qu’il est précisé au dos de l’emboîtage. Tout est subtil dans ce leporello : le format, la manipulation à double sens, la couleur bleue sur fond blanc, la finesse de la silhouette, le rendu de la pluie, les mouvements des traits qui s’épaississent dans les moments de tension, l’expressivité offerte par les pointillés plus ou moins serrés… un design minimaliste et poétique d’une remarquable efficacité.
Michel Defourny