Sophie Blackall, Le Phare, Les éditions des éléphants 2021

La couverture de l’album montre un phare en majesté. Tandis que des vagues se brisent à ses pieds, de son sommet rayonnent des traits dorés qui illuminent le ciel. Dans la lanterne, tout là-haut, l’on aperçoit un homme en uniforme coiffé d’un képi. Sa taille réduite permet de prendre la mesure de la hauteur de la tour. Dès les premières pages, nous avons la chance de pénétrer à l’intérieur de celle-ci. Grâce à une vue en coupe (reprise en quatrième de couverture) nous voyons la superposition des pièces toutes en rondeur et l’escalier en colimaçon qui les relie.

L’album fait découvrir quelles étaient les tâches d’un gardien de phare, il y a quelques dizaines d’années, à une époque où l’on écrivait à l’encre avec un porte-plume et où l’on se chauffait avec un poêle à charbon. Pour guider les navires dans la nuit, le gardien devait veiller à ce que la lumière du phare brille sans interruption du crépuscule à l’aube. A cette fin, il remettait de l’huile dans la lampe dont il assurait la rotation, il coupait le bout brûlé de la mèche, il astiquait la lentille, il scrutait l’horizon… Par temps de brume, il faisait sonner la cloche pour prévenir les bateaux. Au besoin, si un navire s’échouait sur les rochers, il portait secours aux naufragés quels que soient les risques encourus. Aujourd’hui et depuis quelque temps déjà, l’évolution des techniques a mis un terme à la présence humaine dans les phares désormais automatisés.

Parallèlement à ces informations, l’album raconte les petits faits du quotidien d’un homme qui, en raison de son métier, vit dans une grande solitude qu’il trompe en s’adonnant à de multiples travaux, de la couture à la rédaction du journal de bord, de la pêche à l’entretien du bâtiment. Images et texte laissent deviner ses états d’âme. Son air rêveur nous touche lorsqu’il écrit face à la photo d’une jeune femme ; c’est une lettre qu’il lancera dans les vagues. Emouvante, cette illustration où il s’approche de la table, son assiette à la main, prêt à manger le cabillaud attrapé ce jour-là. Elle est commentée par ces mots : « il aimerait tant avoir quelqu’un à qui parler ».

Dans ses recherches, Sophie Blackall a découvert que parfois des familles entières pouvaient vivre dans des phares et que des centaines de femmes furent gardiennes de phare. Aussi, réserve-t-elle une surprise à ses lecteurs : elle imagine l’arrivée de l’épouse du gardien, hissée sur une chaise de gabier. Et celle-ci de se montrer à la hauteur. Lorsque son mari tombe malade, non seulement elle le soigne, mais, grâce à elle, le phare continue à remplir sa mission. Par-delà, le couple vivra des moments d’une grande intensité : le sauvetage de marins en péril… la naissance d’une fillette…

A la dimension documentaire, au plaisir que procure le récit, s’ajoutent la poésie des mots, le rythme des phrases et leurs répétitions qui font écho au va et vient des vagues. S’ajoute surtout la beauté des images réalisées à l’encre de Chine et à l’aquarelle, lorsque souffle le vent, lorsque s’assombrit le ciel et que la mer se déchaîne, lorsque la brume fait tout disparaître ou lorsque le ciel explose en vertes arabesques. Si les illustrations verticales dominent – verticalité du phare oblige -, Sophie Blackall compose de subtiles mises en page en insérant des vignettes narratives sous forme de médaillons ronds ceinturés d’un cordage, un rappel de la forme des pièces de vie de ces fascinantes tours de garde.

Dans les deux dernières pages de l’album, l’auteure expose la genèse de son livre ; elle fait état de ses recherches, signale que le phare de cet album est inspiré de celui dans lequel elle a logé, sur une petite île à la pointe nord de Terre-Neuve. Par contre, ce qu’elle ne dit pas, même si son nom est cité, c’est que cet album cache un hommage à Herman Melville et son Moby Dick. Avez-vous remarqué la girouette du phare ? C’est une baleine !

Michel Defourny

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