Régis Lejonc a publié, il y a une vingtaine d’années, un récit aux accents cosmogoniques. Recourant au langage mythique, il attribuait le mouvement de la terre à la marche régulière de deux géants. L’un en haut, toujours distrait, l’autre en bas, un brin timide. Jamais ils ne se sont rencontrés. L’un chante à la lune et salue les avions de passage, tandis que l’autre se passionne pour la géographie et les cultures si différentes de chaque pays. Si la terre se met à trembler ou est ravagée par un ouragan, c’est que l’un a fait une chute ou que l’autre a éternué ! Depuis la nuit des temps, tournent les deux géants… Mais qu’arriverait-il si par malheur l’un d’eux se retournait et marchait en sens opposé ? On n’ose y penser !
Comme les bons textes ne vieillissent pas et se prêtent aux relectures, les éditions HongFei rééditent cet automne Les Deux Géants. Alors qu’au Rouergue, l’album était illustré par l’auteur lui-même, il est enrichi cette fois par les images décalées de Martin Jarrie qui s’est inspiré, a-t-il confié, d’anciennes cartes du ciel, des cartes à bâtonnets produites par les habitants des îles Marshall, des enluminures médiévales liées aux visions de la moniale Hildegarde de Bingen et relatives à la Création du monde et à l’Apocalypse. Par ailleurs, loin de se figer dans un passé mythique, Martin Jarrie actualise le propos. Les Géants se seraient-ils cognés ? Dans sa dernière double page, il montre un monde à l’arrêt, comme frappé par une malédiction qui confine chacun, empêchant toute vie sociale. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Michel Defourny