Ole Könnecke, Dulcinée. Un conte magique – l’école des loisirs 2021  

 « Il était une fois une petite fille qui s’appelait Dulcinée. Elle vivait avec son père dans une maison en bordure d’une grande forêt. Ils avaient une vache pour le lait, des poules pour les œufs et des arbres fruitiers dans le jardin. Ils avaient aussi un petit champ où ils cultivaient des pommes de terre et des carottes. Tout ce dont ils avaient besoin par ailleurs, ils l’achetaient au marché du village (…) son père  aimait sa fille par-dessus tout et il était heureux quand elle était heureuse ».

Quel évènement va venir rompre cette douce harmonie ? La quatrième de couverture évoque clairement d’heureuses retrouvailles mais l’image de couverture se révèle plus mystérieuse.

La rumeur dit qu’une sorcière vit dans la forêt qui longe leur jardin. Ne l’ayant pourtant jamais rencontrée, le père de Dulcinée en est convaincu ; il fait promettre à Dulcinée de ne jamais aller dans cette forêt. Mais lui-même enfreint la règle le jour de l’anniversaire de sa fille pour aller y chercher les myrtilles qui vont garnir les crêpes traditionnelles du dessert préféré de la fillette. La sorcière surgit et transforme le pauvre homme en arbre. Impatiente de voir revenir son père, Dulcinée part à sa recherche et c’est guidée par les traces de pas qu’elle pénètre dans la forêt, reconnaît son père-arbre, comprend toute la situation et part courageusement en quête a de la sorcière pour délivrer son père. Arrivée aux abords d’un château entouré de douves effrayantes, Dulcinée surmonte tous les obstacles jusqu’au sommet de la tour castrale  : elle y tombe nez à nez avec la sorcière, face à son orgue, qui chante faux à pleins poumons ! Gardant son sang-froid devant la sorcière en colère, Dulcinée use de stratagème pour s’emparer du livre de recettes magiques qui va lui permettre de délivrer son père. Elle arrive in extremis devant l’arbre « paternel » que s’apprêtait à couper un bucheron, séduit par sa splendeur…. Délivrance magique, retrouvailles émouvantes, myrtilles à profusion, tout est donc bien qui finit bien.
Et l’épilogue nous apprend que la sorcière continue à chanter la plus longue chanson du monde que lui avait réclamée Dulcinée en guise d’astuce pour se sauver !

Couverture cartonnée, petit format d’album, histoire découpée en chapitres, la présentation de Dulcinée me rappelle une des premières collections de l’école des loisirs, « La Joie de lire ». Elle proposait aux enfants qui commençaient à lire de manière autonome des histoires réparties en plusieurs volets, ce qui permet d’interrompre la lecture tout en suscitant l’envie de continuer ; l’illustration y gardait une certaine place, le vocabulaire était choisi pour être accessible, la typographie aérée et les interlignes suffisants étaient étudiés pour faciliter la lecture « buissonnière » par l’enfant lui-même. Mon titre de prédilection fut – et restera – « Hulul » d’Arnold Lobel. Comme dans cette collection, je vois dans l’histoire de Dulcinée l’occasion d’une première lecture autonome facilitée par la structure en chapitres correspondant à une succession d’épreuves qu’affronte Dulcinée. Ceux-ci créent une certaine tension et mettent en valeur toutes les ressources de cette petite fille au caractère bien trempé.

La sorcière a perdu ici ses caractéristiques physiques archétypales et ne risque pas d’effrayer beaucoup les enfants; elle suscite plutôt le rire par sa partielle incompétence, sa crédulité et ses comportements extravagants. Le père de Dulcinée, plutôt replet et l’air bon enfant, inspire la sympathie. Quant à Dulcinée, la robe rouge, le pas décidé, le regard scrutateur enjolivent aux yeux des jeunes lecteurs  sa détermination et son courage.

La couleur noire ponctue les situations les plus stressantes :  les arbres de la forêt, le père lui-même transformé en arbre mais reconnaissable « grâce à son chapeau, sa moustache et ses doux yeux bruns », l’eau des douves censées être peuplées de monstres. En revanche, ce sont les couleurs rouge, orange, rouille, beige et gris qui dominent et créent une ambiance générale plutôt rassurante.

« Dans une vallée éloignée, une clairière s’ouvrait au milieu des bois. Là, vivait un cultivateur avec sa fille unique, Zeralda. Ils n’avaient jamais entendu parler de l’ogre. Zeralda aimait beaucoup faire la cuisine. A l’âge de six ans, elle savait déjà faire friture et rôti, bouilli et farce, ragoût et grillade. Une fois par an, le cultivateur allait à la ville pour y vendre des pommes de terre, du blé, de la viande et du poisson ». C’est ainsi que Tomi Ungerer présentait l’héroïne de son album « Le géant de Zeralda » paru à l’école des loisirs en 1971 ! Ces mots me sont revenus en mémoire à la lecture de la « Dulcinée » d’Ole Könnecke » publié par le même éditeur un demi-siècle plus tard. Entre « Le géant de Zéralda » et l’histoire de Dulcinée, quelques analogies ont retenu mon attention : la première concerne le contexte de vie des deux héroïnes, elles vivent  avec un père affectueux et bienveillant, dans un endroit isolé, proche de la nature mais relié à la société urbaine ou villageoise. Autre analogie, les caractères décidés, courageux, intelligents, débrouillards voire rusés des deux fillettes telles que les deux histoires nous les révèlent. Et enfin, une autre analogie résiderait dans l’« empêchement » des deux pères à protéger leurs filles : l’un malade et alité, l’autre figé en arbre, ce qui renverse les rôles au profit de ces deux dernières. « Il était une fois » introduit communément les deux récits dans le domaine du conte. Mais par-delà ces éléments évidents de comparaison, relevons aussi une nuance frappante entre ces deux albums : le géant de Tomi Ungerer n’est autre qu’un ogre dont la cruauté et les ressorts de l’histoire ont fait couler beaucoup d’encre… je ne pense pas, par contre, que la sorcière qu’affronte Dulcinée soulèvera de virulents débats !  Apprécions l’évolution considérable de la littérature pour la jeunesse.

Chantal Cession

 

 

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