L’histoire s’ouvre sur le jour qui se lève. La ville s’éveille : Agathe, encore tout emmitouflée dans sa couverture, est appuyée contre le rebord d’une grande fenêtre. Elle contemple les premiers signes de l’agitation urbaine auxquels elle est accoutumée, depuis le 7ème étage de son appartement. Le bruit des klaxons, les maisons, les grues, les antennes, les magasins, les lumières, autant de choses qu’elle aime et qui la rassurent.
Mais ce matin, Agathe traîne des pieds. Car c’est le grand jour : celui où elle va devoir quitter son confort citadin familier pour se rendre dans un camp de vacances, à la montagne. Elle n’a pas envie, Agathe, d’aller dans cet endroit…qu’elle juge hostile, teinté d’une même couleur verdâtre, de silence et d’immobilisme. Et puis ses chaussures ne sont pas adaptées à cet environnement !
Tendrement, son père s’agenouille à ses côtés et lui tend un caillou pour l’encourager, un caillou « ni trop petit ni trop gros, blanc et lisse » qui l’accompagnera, en ami de route, dans cette grande aventure quelque peu forcée et grandement appréhendée. Il tempère les prétextes infondés de sa fille, et tente de la rassurer : « tu changeras d’avis, la montagne est merveilleuse en ce moment… »
Cela demande du courage de quitter ses amis, son père, ses repères ; cela exige de l’adaptabilité de changer de décor, de s’ouvrir à de nouveaux paysages, de rencontrer l’inconnu. Peur de la solitude, de l’isolement et du rejet : voilà les sentiments douloureux qu’Agathe éprouve durant les premières heures de ce voyage en car, recroquevillée sur son siège, alors que les autres enfants font connaissance.
Comment traverser cette tempête émotionnelle alors que la colère en elle grandit ? Comment trouver sa place dans ce groupe alors qu’elle est la seule à ne pas savoir monter une tente, allumer un feu ou tailler un bâton ? C’en est trop : elle s’éloigne du bivouac et jette très loin son ami caillou, puis chute.
C’est alors que se produit littéralement le renversement : pour aider sa petite héroïne à considérer son malaise sous un autre angle, Sara Donati invite le lecteur à « basculer » le livre, le retourner. Quatre doubles pages s’enchainent à la verticale, et la perception d’Agathe – bien forcée de suivre ce mouvement – s’affine et s’élargit. Le paysage s’en trouve remodelé et amplifié. C’est alors qu’a lieu une rencontre aussi inattendue que magique…
Les dessins aux crayons de couleurs et rehaussés à l’aquarelle de Sara Donati nous plongent dans une atmosphère sensible et sensorielle, richement peuplée. La montagne, lieu mystérieux et merveilleux, demeure supposée des Dieux, retrouve son caractère sacré : dans la seconde partie de l’ouvrage, les petits brillants incrustés dans les pierres, les coléoptères, sauterelles et mousses fluorescentes se révèlent à la fillette et au lecteur dans une étincelante clarté.
Avec le passage du livre en « scope », cette richesse graphique marque une autre rupture avec le début du livre et l’environnement urbain. Les couleurs sont intensifiée. Et parmi elles, le vert de la nature, foisonnant de différentes teintes. Sara Donati excelle à nous en offrir un large panel, rendant compte d’une nature odorante, mouvante, vivifiante !
À la nuit tombée, l’histoire prend fin. Dans le ciel, la constellation des petits cailloux lumineux nous font nous sentir petits, si petits… mais bel et bien prêts à présent à nous ouvrir à la beauté et à la magie de l’inconnu.
Merci Sara Donati pour cette traversée.
Kristina Tzekova