L’émotion vous saisit au fil des pages de l’album Les Printemps d’Adrien Parlange : 30 flashes pour raconter une vie, de 3 à 85 ans.
Des deux premières années, aucun souvenir ; à 3 ans, quelques pas dans la mer, les deux pieds dans l’écume ; à 6 ans, effroi et fuite à la vue d’un orvet pris pour un serpent ; à 13 ans, jeune ado distrait en classe ; à 15 ans, émoi lors d’une première bise un peu plus appuyée ; à 18 ans, déception amoureuse ; à 21 ans, entrée dans la vie active ; à 26 ans, vie en couple ; à 30 ans, découverte de la paternité avec la naissance d’une petite fille ; à 32 et 34 ans, transmission parentale ; à 44 ans, plénitude de la vie adulte et familiale ; à 50 ans, installation de sa fille dans un appartement ; à 62 ans, rencontre de l’enfant de son enfant ; à 72 ans, nécessité de prendre son temps ; à 82 ans, activités sous surveillance ; à 85 ans, attachement au printemps…
Si cet album nous touche à ce point, c’est parce que, le narrateur, en se confiant et en parlant de lui, parle de chacun d’entre nous. Derrière les dessins, aux contours épurés, tracés au pinceau, à peine esquissés, sans doute nous reconnaissons-nous. Certes, nous n’avons pas vécu les mêmes choses au même moment que le narrateur et sans doute ne les vivrons-nous pas pareillement dans le futur qui nous attend. Néanmoins, tout ce qu’il dit, tout ce dont il se souvient… est tellement vrai, tellement nôtre. Ce sont des sensations, des sentiments, des désirs, des regrets, de l’enthousiasme, du partage. C’est la persistance d’un souvenir, la fulgurance d’un imprévu, la nécessité de l’oubli, la capacité de rebondissement, l’accomplissement d’une quête, le bonheur d’un printemps.
Prenant le livre en main, au format 17 x 24, on ne peut qu’être fasciné par le dispositif ingénieux mis en place par Adrien Parlange pour rendre palpable la relation qu’entretient chacun avec son vécu. En recourant à des encoches et à des fenêtres découpées dans l’épaisseur colorée des pages, l’artiste rend concrètes les interactions entre l’instant vécu et différents moments du passé. Tantôt le temps érode la mémoire, tantôt des souvenirs dont certains très anciens imposent leur présence… Ainsi la saveur d’une fraise sauvage ramassée avec son père, à 4 ans, au bord d’un fossé, accompagne-t-elle le narrateur au long des années. 30 ans plus tard, c’est à son tour, en tant que papa de faire goûter à sa fille une fraise des bois. Et lorsque l’album se termine sur des mots qui disent le bonheur de vivre et l’attachement au renouveau – « A 85 ans, je n’ai jamais autant aimé le printemps » -, l’image correspondante montre un monsieur âgé qui se penche pour cueillir une fraise !
Quelle poésie dans le rapport entre le texte et les images. Et que d’échanges possibles entre parents et enfants à la lecture de pareil album.
Michel Defourny