Vilborg Dagbjartsdottir, Sigridur Björnsdottir, Alli Nalli et la lune – Bibliothèque nationale de France, Albin Michel Jeunesse 2020

L’histoire est brève, elle explique l’origine des phases de la lune. Pourquoi celle-ci se met-elle à croître, puis à décroître au fil des nuits ? Aussi saugrenue que la chose paraisse, le phénomène serait lié à du potage mangé par la lune ! Voilà qui la ferait grossir, à un point tel qu’au bout d’un certain temps elle deviendrait toute ronde. Par contre, privée de soupe, elle maigrirait, puis disparaîtrait.

Par-delà le conte étiologique farfelu de Vilborg Dagbjartsdottir, poète féministe islandaise, qui met en scène un petit garçon récalcitrant du nom d’Alli Nalli, une maman exaspérée et la lune, l’album impressionne. Tout d’abord, par son très grand format carré (30,7 x 30,9). Ensuite, par l’audace de ses images en aplats colorés réalisées à partir de découpages – elles oscillent entre abstraction géométrisante et figuration, certaines d’entre elles plus énigmatiques se prêtent à l’interprétation. Sigridur Björnsdottir a limité son choix à trois couleurs primaires – jaune, rouge, bleu – qui se détachent sur le fond blanc des pages et parfois sur le noir de la nuit. Tout dans cet album avait été pensé, depuis le carton souple des feuillets qui le composent, la reliure en spirale de la version originale jusqu’à la typographie, en « Futura ». Cette police de caractère, basée sur des formes géométriques, conçue en 1927 par Paul Renner, lui-même proche de l’esprit du Bauhaus, fut pendant des années le symbole de la modernité. La rondeur de son  « O » était particulièrement adaptée à la pleine lune.

L’album publié à Reykjavik en 1959 n’a guère rencontré de succès, trop avant-gardiste sans doute. Il fut oublié.  L’on est enchanté de le découvrir aujourd’hui, même si pour des raisons pratiques il a fallu renoncer à la reliure en spirale et adopter une autre police de caractère néanmoins proche de celle Paul Renner.

En 1959, lors de la parution d’Alli Nalli, Sigridur Björsdottir était mariée à Dieter Roth. Et Carine Picaud, conservatrice à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France, de se demander dans la postface de la réédition publiée par Albin Michel et la BnF, si l’artiste germano-suisse n’avait pas contribué à la concrétisation de cet album exceptionnel, d’autant que cet immense créateur polyvalent se passionnait à l’époque pour ce que l’on appellera plus tard « le livre d’artiste ». En 1954, il avait réalisé un livre qu’il avait intitulé Kinderbuch, offert au fils de l’un de ses amis. Selon la description qu’en donna Anne Moeglin-Delcroix, il était « composé de pages en carton, réunies par une reliure en spirale, dont la surface imprimée de compositions colorées à base de cercles et de carrés, est découpée par endroits selon les mêmes figures géométriques, ce qui engendre des superpositions de formes et de couleurs ». Peu après, il avait créé d’autres livres, jouant sur les formats, les découpes, les papiers. Citons par exemple Dagblegt Bull, paru en 1961, contribution à la revue Daily Bul  fondée à La Louvière par André Balthazar et Pol Bury. C’était, dans une mini boîte, un petit volume de 31 x 36 x 22 mm, composé de 150 pages découpées dans des journaux islandais, autre type d’expérimentation dont le livre est l’objet.

Michel Defourny

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