Michal Skibinski, Ala Bankroft, J’ai vu un magnifique oiseau – Albin Michel Jeunesse 2020

Au départ, ce n’était qu’un cahier d’écolier dans lequel un enfant de huit ans, un petit polonais, devait obligatoirement écrire chaque jour une phrase. Il noterait une chose qui lui était arrivée ou qu’il avait observée. L’objectif était strictement scolaire : améliorer son écriture et son orthographe. C’était la condition pour qu’il passe en classe supérieure. Aujourd’hui, quatre-vingts ans plus tard, ce cahier qui raconte le quotidien d’un enfant pendant l’été 1939, alors que les Allemands s’apprêtent à envahir la Pologne, a été métamorphosé en un album d’exception.

Cette année-là, l’été était ensoleillé et le jeune garçon consignait consciencieusement des petits riens qui ressemblent au bonheur : une promenade à travers pré avec un copain, un pic vert aperçu dans la forêt, une glace mangée au salon de thé, la lecture d’une belle histoire, la visite d’un oncle et d’une tante, l’arrosage du jardin avec le tuyau d’arrosage… Çà et là perce un peu d’inquiétude, sans gravité néanmoins. A huit ans, les gros orages effraient et le temps est long lorsqu’on attend sa maman. Toutefois le lecteur ne manque pas d’être intrigué : pourquoi tant de déplacements des enfants au cours de ces  deux mois? Et pourquoi cet avion survolait-il la localité d’Anin ? Aucun indice majeur, cependant, ne laisse présager la phrase écrite le 1er septembre : «  La guerre a débuté… » A partir de cette date, les événements familiaux cèdent la place à des notes qui glacent le sang : « Je me suis caché à l’approche des avions » ; « Ils ont largué une bombe près de chez nous » ; «Des shrapnels sont passés au-dessus de notre maison » ; « On entend des tirs de canon » ; « Varsovie se défend courageusement. »

Répondant à la demande des éditions Wydawnictwo Dwie Siostry de Varsovie, Ala Bankroft a accompagné de ses images picturales les propos  du jeune Michal. Alors que les courtes phrases de l’écolier sont froidement dénotatives – pas un mot de trop ! – Ala Bankroft révèle leur richesse. L’artiste a évité les pièges de l’illustration anecdotique qui aurait réduit l’album à un documentaire. Aucun portrait, aucun visage : ni celui de l’écolier ni celui de son frère. Pas plus que celui de sa mère, de son père, pilote, venu lui rendre visite le 29 août, peu avant de disparaître pour toujours dans un accident. S’il est question de jardinage avec la grand-mère, l’image correspondante montre uniquement des salades… Il y a bien çà et là l’un ou l’autre gros plans réalistes : une chenille très colorée, une guêpe prise au piège dans un verre, la gare d’un patelin appelé Wauwer. Il fallait aussi que parmi les troncs, on aperçoive, agrippé à l’un d’eux, le magnifique oiseau coiffé de rouge, qui a donné son titre à l’album (1). Mais ce qui frappe d’emblée dans les tableaux de l’artiste, c’est leur pouvoir de faire partager au lecteur les états d’âme de l’écolier,

le plaisir de courir dans la lumière éblouissante de juillet striée par les ombres, le ravissement face à la beauté d’un paysage de forêt que traverse un ruisseau,
la sérénité procurée par le goûter qui l’attend chez sa grand-mère,
la crainte, lors d’une panne de courant,
le vide laissé par le départ de son père,
l’angoisse des jours et des nuits de septembre lorsque le péril se précise.

Pour traduire le climat de guerre qui s’installe, la violence des combats, la menace permanente, Ala Bankroft a privilégié des images presque abstraites, des ciels sombres et tourmentés percés quelquefois d’éclats brillants.

L’album se termine par quelques notes historiques et le fac-similé de plusieurs pages du cahier original conservé jusqu’aujourd’hui par Michal Skibinski, toujours en vie, et grâce auquel il a pu passer en classe supérieure.

On peut imaginer que Georges Perec aurait volontiers écrit un avant-propos pour pareil album, lui qui s’imposait des contraintes d’écriture (et quelle contrainte que pareil devoir de vacances !), lui qui se montrait tout à l écoute de la banalité du quotidien, lui qui avait tant souffert de la guerre, et qui nous avait confié avoir le projet de réaliser un livre pour enfants.

Michel Defourny

 

  • Pour l’illustration de couverture, les éditeurs ont choisi l’image correspondant au 26.07.1939. Elle montre la silhouette noire d’un avion qui semble faire du repérage. Par contre, le titre écrit soigneusement par la main d’un enfant évoque le moment d’émerveillement correspondant à la date  28.07.1939 : « J’ai vu un magnifique oiseau ».

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