Déception chez les Cuthbert, ils attendaient un garçon pour travailler à la ferme, et c’est une fille que leur envoie l’orphelinat. Pas étonnant que l’accueil de Marilla soit glacial. « Ne vaudrait-il pas mieux la renvoyer d’où elle vient ! » se demande-t-elle, alors que son frère Matthew se montre plus conciliant. Jusqu’alors, la vie d’Anne Shirley n’a guère été facile, et, dans un premier temps, elle ne la sera pas davantage à Avonlea. En proie à l’hostilité des habitants du village qui se méfient, méprisée par le maître d’école et les élèves de la classe, elle souffre de son image, de ses cheveux roux noués en tresses et des taches de rousseur qui constellent son visage, des vêtements disgracieux qu’elle doit porter alors qu’elle rêve d’une robe à manches bouffantes. Mais Anne fait face et réussit à se faire aimer. Son imagination débordante, sa sensibilité à fleur de peau, son indomptable énergie, son goût pour les grands mots lui permettent d’habiller le réel en féerie, d’autant que la nature sur l’Île-du-Prince-Édouard est enchanteresse en quelque saison que ce soit.
« Anne est impulsive, dramatique, drôle, dévouée, et telle une authentique naïve, elle va bousculer le calme et la monotonie des gens de Green Gables, en semant partout joie et rêverie, en dénichant la beauté en ses moindres recoins, en s’appliquant à trouver des âmes sœurs où qu’elles soient, en ne s’exprimant qu’en points d’exclamation, même dans les affres du désespoir » écrit Margaret Atwood, l’auteure à succès du roman « La Servante écarlate ». On s’accorde aujourd’hui à reconnaître en Anne Shirley, la petite orpheline qui revendique le droit des filles à faire des études, une préfiguration du féminisme ; même Marilla, si rigide au départ, partage son avis : « Quand Matthew et moi t’avons accueillie pour t’élever, nous avons décidé de faire tout ce que nous pouvions faire pour toi et te donner une bonne instruction. Je pense qu’une jeune fille doit être préparée à gagner sa vie, qu’elle en ait besoin ou non. »
Paru en 1908, Anne de Green Gables, le roman de Lucy Maud Montgomery dont « la raison d’être a toujours été l’écriture », a rencontré immédiatement un succès considérable. Sans cesse réédité au Canada, puis aux États-Unis, traduit dans de nombreuses langues, il a été adapté au cinéma, en comédie musicale et en séries dramatiques pour la télévision. Aujourd’hui, la CBC (Canadian Broadcasting Corporation) diffusée via Netflix propose une nouvelle version qui a pour titre Anne with an E.
Le volume que proposent les éditions Toussaint Louverture est particulièrement soigné, douceur papier, élégance de la typographie, couverture cartonnée ornée d’une illustration de Paul Blow qui condense deux dimensions de l’œuvre, narration et contemplation.
Michel Defourny