Gilles Baum – Régis Lejonc, Fechamos – Les éditions des éléphants 2020

Mais que nous « dit » cet album intitulé « Fechamos »  (traduction : on ferme) ? La question s’est imposée à moi avant toute autre considération.

Le décor : un musée devenu vétuste n’intéresse plus personne malgré la richesse de ses collections immobiles sous des vitrines poussiéreuses, réparties entre des salles caduques. Tout est figé dans un grand silence. Et pourtant ces  objets , vestiges du passé, ont contribué à façonner ce pays.

La trame fictionnelle : le gardien de ce prestigieux musée, arrivé un soir au terme de sa carrière et de la vie de ce lieu, a secrètement réparti certains objets entre quelques visiteurs fidèles pour ensuite mettre le feu au musée ! Du fond de sa cellule, il pourra entendre la joie et la vie renaître dans le musée en plein air qu’organiseront les nouveaux dépositaires.

Il me semble intéressant avant d’aborder la lecture de cet album de parcourir attentivement les 1re et 4e de  couverture, les pages de garde et de titre, pour y glaner  les éléments permettant de situer globalement le contexte dans lequel se déroule cette fiction : la dédicace  « En mémoire du Musée national de Rio de Janeiro » ; la langue du titre, la page de titre et sa merveilleuse collection de papillons ;  l’illustration de la première page qui donne à voir la baie de Rio dans une lumineuse atmosphère de fin de journée ; la dernière page indiquant explicitement que cette œuvre est une fiction et le nom du gardien un emprunt ; enfin, les premiers mots du résumé qui nous révèlent que  « Le musée ferme ses portes. Il n’a plus d’argent… »

Mû par la curiosité, on peut découvrir facilement l’histoire et l’intérêt de cette institution créée au 19e siècle, spécialisée dans les sciences naturelles puis petit à petit en anthropologie, ethnologie et archéologie. Le Musée national de Rio de Janeiro attira des chercheurs étrangers et finit par jouir d’une renommée internationale. On apprend également que dans la nuit du 2 au 3 septembre 2018, un incendie ravagea le bâtiment principal, engloutissant les collections permanentes et des expositions temporaires. La réouverture partielle du musée est néanmoins envisagée pour 2022.

Pour construire la fiction, l’auteur remonte un peu le fil du temps, juste au début de la soirée qui précède l’incendie de 2018. « Fechamos », « Le musée n’a plus d’argent. Il n’intéresse plus personne», « Alors, Edson Arantes barre les portes une dernière fois. Le musée est fermé ». Mais une poignée de visiteurs, quelques habitués, est au rendez-vous donné en secret par le gardien pour une dernière et extraordinaire visite nocturne du musée. Le vieux gardien a choisi quelques pièces emblématiques qu’il confie à chacun de ces visiteurs à charge pour ceux-ci d’en réaliser un musée à ciel ouvert où l’on pourra « toucher du doigt les origines, pour comprendre ce qui a construit ce pays et tout ce qui fait sa beauté », où ces pièces reprendront vie au milieu de la vie !

Le personnage d’Edson Arantes est magnifique. Fier de son métier, minutieux jusqu’à la fermeture définitive du musée, foncièrement attaché à la beauté des œuvres exposées, profondément humain dans sa façon de considérer les visiteurs, les touristes, et surtout les « hordes » d’enfants des écoles… Tout comme la fin ouverte, le texte laisse une certaine marge d’interprétation. Après la dernière fermeture, Edson Arantes ne se départit pas de son uniforme : « Il est le gardien ». C’est cela peut-être qui donne sens au geste qui va suivre. Comment garder vivant un patrimoine culturel, témoin d’une histoire ?

En définitive, on en retient l’interrogation fondamentale sur le rôle et la place d’un musée, sur les moyens à mettre en œuvre pour qu’il reste un témoignage vivant et attrayant d’une histoire ; on s’interroge enfin sur une alternative à imaginer et à mettre en place pour restituer à tout un peuple – et non à une élite –  son patrimoine culturel, son histoire, ses origines, et « tout ce qui fait sa beauté ».

Les illustrations sont proches de la BD : pleines pages ou vignettes rectangulaires, elles sont entourées d’un cadre noir, sous des textes courts. Les perspectives sont variées : personnages de dos, de face, vues en plongée ou contre-plongée, gros plans ou vues d’ensemble. Tout au long de l’album, le texte et les illustrations se combinent pour ménager efficacement la tension dramatique. Un exemple parmi d’autres : auteur et illustrateur utilisent conjointement la répétition : « ce sont les dernières secondes de cette journée » et puis « les dernières secondes », chacune de ces deux phrases est illustrée par une vue du Musée, mais sous deux angles différents, dans la lumière du soir. L’effet dramatique de l’incendie résulte du contraste entre la nuit noire et la vigueur du feu.

On remarquera également la cohérence entre la première page – vue plongeante sur la baie de Rio de Janeiro avec, en avant plan, la statue du Christ Rédempteur – et la dernière image – où c’est du cœur de la ville qu’en contre-plongée on aperçoit la même statue au sommet du Corcovado.

On l’aura compris, cet album interpellant ne s’épuise pas en une seule lecture !

Chantal Cession

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *