Fabian Menor, Élise – La joie de lire 2020

J’ai été immédiatement ému par le récit de Fabian Menor qui raconte un épisode de la vie de sa grand-mère. Sans doute, suis-je aussi âgé que la vieille dame qui a livré ses souvenirs à son petit-fils, et l’album m’a rappelé mes années d’école primaire, marquées entre autres par une gifle reçue en 1949, en première année, alors que j’avais cinq ans, lors de la préparation de la fête de Noël (*). Petit garçon timide, j’avais malencontreusement interprété la chanson telle que nous la chantions chez moi. Inutile de dire que cette gifle m’avait humilié et que, de retour à la maison, je n’avais rien osé dire. Il a fallu des années avant que j’ose en parler, d’autant que l’instituteur qui m’avait brimé bénéficiait d’une excellente réputation. Si par la suite, bon élève qui passait inaperçu, je n’ai pas eu à me plaindre du comportement des maîtres à mon égard, j’ai été témoin de scènes d’une rare violence. A cette époque de l’immédiate après-guerre, la plupart des parents approuvait les comportements répressifs des instituteurs et institutrices. Aller à l’école effrayait beaucoup d’enfants.

Évidemment, ma gifle révélatrice des abus de pouvoir de l’époque n’est en rien comparable à l’enfer vécu par la petite Élise, victime de l’acharnement d’une maîtresse qui n’aimait pas ses élèves et avait instauré dans sa classe un régime autoritaire. L’album commence en force par le rituel matinal de l’examen de la propreté des mains. Il faut les présenter à Madame Jousseau en la saluant respectueusement. Suit une punition d’Élise pour bavardage : à genoux, en tenant deux encyclopédies à bout de bras. Survient alors la catastrophe. Interdite de se rendre aux toilettes, Élise ne peut se retenir. La honte, devant ses camarades ! La honte, devant sa mère ! Ah, que la solitude de la fillette est grande… Seul Dicko, son chien, lui apporte quelque réconfort. Mais, de celui-ci, elle sera même privée ; obscure victoire remportée par la pionne. La suite est à l’avenant. On ose à peine croire que pareille oppression tant physique que psychologique puisse s’exercer à l’encontre des enfants. L’emprise est maximale : interrogés pour savoir ce qui s’est réellement passé le jour où Élise a été blessée à l’œil, les élèves confirment une première fois, et d’une seule voix, le mensonge de la maîtresse. Élise, en dépit de sa fragilité, révélera sa force. Lorsqu’en réponse à la lettre de plainte d’une maman, un inspecteur se présente afin de mener une enquête, sa détermination suscite l’adhésion des enfants de la classe qui osent finalement appuyer son témoignage.

Dans cet album, entre bande dessinée et roman graphique, Fabian Menor a évité le piège de la reconstitution historique. Le décor est quasi absent. A peine sont esquissées quelques maisons d’un village à proximité d’une ligne de chemin de fer et la salle de classe nue, comme abstraite. Toute l’attention est focalisée sur les personnages, la maîtresse aux gestes brutaux, aux membres anguleux, à la figure crispée et au regard féroce, les enfants dont les vêtements rappellent discrètement les photos d’époque et surtout le personnage d’Élise, frêle fillette aux jambes maigrichonnes. Quelques traits suffisent à rendre parlant son visage, souvent soucieux, parfois douloureux, rarement joyeux. Son chien auquel elle se confie est très présent. Ses aboiements qui défient Madame Jousseau envahissent les cases, il est presque le seul à avoir compris en ce milieu campagnard que les enfants devaient être protégés. Les dessins minimalistes à l’encre de Chine et aux lavis gris qui caractérisent l’ensemble des cases contrastent avec les pages expressives, hachurées, noires… qui dépeignent les cauchemars d’une fillette éperdue, menacée d’être écrasée comme son chien par une locomotive lancée à toute vapeur.

Coup de chapeau à La Joie de lire de Genève qui a accordé sa confiance à un jeune auteur plein d’avenir qui réserve de nouvelles surprises. Il nous confie qu’il se penche sur l’écriture d’un conte jeunesse et que le dessin animé le tente beaucoup.

Michel Defourny

 

(*) La photo de famille qui clôt l’album date de 1949.

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