Heureuse coïncidence : alors que l’Unesco a inscrit cet automne le « couscous » sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, reconnaissant le caractère emblématique de ce plat « copieux, modeste et pas cher » d’origine maghrébine qui « a traversé les siècles, résistant au temps et à la mondialisation (*) », les éditions Actes Sud junior rééditent Le Petit Ziryâb paru en 2005, un recueil de recettes gourmandes du monde arabe, à réaliser en famille.
Son auteur, Farouk Mardam-Bey, est grand connaisseur de la culture arabe et de ses littératures. Faut-il rappeler qu’il fut chargé de la direction des éditions Sindbad, lors du rachat de celles-ci par Hubert Nyssen en 1995, et que l’Institut du Monde Arabe de Paris bénéficia de ses compétences pendant de nombreuses années. Pour moi, il est l’auteur de deux anthologies remarquables : La Poésie Arabe (1999) chez Mango, et la Poésie Arabo-Andalouse (2007) chez Michalon, calligraphiées et enluminées par Rachid Koraïchi.
Si les plats proposés par Farouk Mardam-Bey, dans Le Petit Ziryâb, sont bien sûr connus et appréciés par les jeunes originaires du Maghreb et du Moyen Orient, leurs saveurs épicées, douces, crémeuses et parfumées ne manqueront pas de séduire les enfants habitués aux cuisines occidentales. Chacune des recettes (hoummos, tabboulé, mesfouf, couscous, kebbé, kefta, dolma, khochaf…) est expliquée avec une grande clarté, étape par étape. Parallèlement, l’auteur fait découvrir les différents ingrédients, leur famille, leurs origines, leurs voyages, ajoutant çà et là l’une ou l’autre anecdote. Désormais les lecteurs ou les apprentis cuisiniers sauront tout sur le pois chiche, le bourghol, l’artichaut, la grenade, les dattes, l’abricot, la pistache, le carvi… Tandis qu’une très riche iconographie mariait illustrations de Stéphanie Buttier, photographies et reproductions d’œuvres anciennes, l’imagerie de la réédition 2020 est plus sobre. Elle a été confiée à Julie Guillem qui poétise plats, ingrédients, vaisselle et ustensiles.
Sans doute et avec raison, vous posez-vous une question ? Qui est ce Ziryâb derrière lequel se cache Farouk Mardam-Bey ? Quelqu’un auquel, par-delà les siècles, il ressemble en tant que passeur de cultures, amateur de poésie, fin gastronome et homme de goût. Alî ibn Nâfi fut surnommé Ziryâb, un oiseau au plumage noir, en raison de la couleur sombre de sa peau et de sa voix mélodieuse. Né au sud de l’Irak en 789 d’une famille d’origine persane, il devint l’un des plus grands musiciens de son temps et exerça son talent à la cour du calife de Bagdad. Contraint à l’exil, il fit un séjour en Tunisie, à Kairouan, avant de s’établir à Cordoue. Il fut à l’origine d’un nouvel art de s’habiller en liaison avec les saisons et introduisit là-bas la haute cuisine bagdadienne. On lui attribue la réforme des arts de la table, en instaurant un ordre de succession des plats en lieu et place de la présentation dès le début du repas de l’ensemble des mets : potage, plats relevés, mets sucrés-salés, gâteaux et pâtes de fruits. Toutes ces informations et quelques autres sont précisées, dans la page d’introduction ouvrant le recueil qui entrelace érudition, saveurs et savoir-faire.
Michel Defourny
(*) selon l’expression du chef franco-tunisien Nordine Labiadh du restaurant parisien A mi-chemin, auteur de Coucous pour tous, ed. Solar, 2020