Il serait regrettable de ne pas connaître Fifi Brindacier, Ronya, fille de brigand ou Zozo la Tornade, entre autres personnages célébrissimes créés par Astrid Lindgren… L’occasion se présente à nous de succomber à nouveau sous le charme d’une petite fille de quatre ou cinq ans, Lotta, aussi connue en Suède que le Petit Nicolas chez nous.
C’est pour notre plus grand plaisir que l’éditeur Versant Sud jeunesse vient de porter à la connaissance du public francophone les exploits malicieux de cette petite « filoute » qui , du haut de ses cinq ans, « sait tout faire » ! L’éditeur en a confié la traduction à Aude Pasquier et l’illustration à Beatrice Alemagna, c’est dire que les deux tomes sont un régal à découvrir et à savourer, chaque chapitre étant en soi une petite aventure.
Au début du premier tome, Lotta n’a encore que quatre ans ; elle est la cadette d’une fratrie de trois enfants : Jonas et Mia Maria qui la devancent de quelques années seulement s’estiment déjà grands, bien entendu. « Nous habitons une maison jaune dans une petite rue qui s’appelle rue des Fileurs », rebaptisée par leur papa « rue des Filous »…
Pour cette première partie, Astrid Lindgren donne la parole à Mia Maria, qui nous raconte une dizaine de petits faits quotidiens de la vie de Lotta. Le point-de-vue de la grande sœur, celle « du milieu », nous éclaire alors sur l’ambiance pleine de vie de toute la famille et sur la dynamique de la fratrie. Que faire d’un « bébé » qui veut jouer aux pirates avec « les deux grands » ou qui refuse de boire le sirop que veut lui administrer « le docteur » ? Comment s’y prendre avec une petite fille têtue qui ne prétend pas ouvrir la bouche chez le dentiste ?
Au lendemain des cinq ans de Lotta, le décor étant planté et les personnages dessinés, changement de narrateur : le récit se poursuivra à la troisième personne. Nous faisons alors plus ample connaissance avec un petit personnage décidé, volontaire, parfois impertinent, débrouillard. Lotta a bon cœur, toujours prête à aider la voisine âgée – et compréhensive-, mais Lotta ne se laisse pas marcher sur les pieds ; elle déploie beaucoup d’imagination pour s’assurer la place d’une benjamine de cinq ans au sein de la famille. Et, comme tout enfant de cet âge-là, naviguer entre imagination et réalité, entre bonne et mauvaise foi, ne pose aucun problème… enfin, presqu’aucun !
Merveilleusement traduit par Aude Pasquier, le texte assez conséquent est alerte, les dialogues modernes ; ils traduisent la bienveillance teintée d’humour avec laquelle Astrid Lindgren parle ses personnages. Parmi les nombreux albums traduits avec talent et sensibilité par Aude Pasquier, je me rappelle avec émotion Le châle de grand-mère d’Asa Lind & Joanna Hellgren aux éditions Cambourakis, présenté au Prix Versele 2015 .
Tenant en main les deux tomes des aventures de Lotta, je ne peux que sourire à la vue de ce petit personnage tel que l’imagine, avec drôlerie et sensibilité, Beatrice Alemagna. Cheveux raides, regard malicieux, Lotta affiche sa fierté de « cochon pendu » à la branche d’un arbre ou de cycliste chevronnée sur un vélo plus grand qu’elle ! Trait faussement naïf de l’illustratrice, jeux avec les proportions, simplification des décors pour mieux évoquer les atmosphères et mettre en évidence les expressions des corps et des visages, tout le talent de Beatrice Alemagna semble mis au service d’une parfaite complicité avec les « Filous » de la rue des Fileurs !
Je retrouve, dans un registre un peu différent, l’émotion ressentie quand je présentais, dans la sélection 2019 du Prix Versele Un grand jour de rien, écrit et illustré par Béatrice Alemagna.
Ces deux tomes se prêtent merveilleusement à une lecture à voix haute ; les adultes se régaleront de la pertinence et la finesse avec laquelle Astrid Lindgren observe le monde de l’enfance.
Chantal Cession