Dans Un rêve, on voyage dans l’inconscient imagé d’un enfant, nourri d’épisodes fantastiques, puis on émerge sans transition dans sa réalité toute simple, légère, aérienne. Deux scènes, deux temps composent cet album d’une poésie verbale et d’une beauté graphique singulières : il y a la nuit, il y a le jour ; le lit d’une part et la balançoire d’autre part ; la sombre forêt d’un côté, un tapis coloré de fleurs de l’autre. Il y a l’obscurité dense et les craintes parfois irrationnelles qu’elle génère, il y a la clarté d’un moment solaire et la tendre légèreté à laquelle renvoie la lumière. A cheval sur ces deux mondes contrastés – intérieur et extérieur – figure un même garçonnet aux cheveux dorés, vêtu d’une marinière. Il n’est pas nommé et ça n’a pas d’importance. Ce qu’il est par contre, son statut, est fondamental : il appartient à la communauté des enfants.
Animé d’une imagination foisonnante pendant son sommeil, le garçonnet nous invite dans les méandres de son rêve où, dans une obscure forêt, se confrontent des bestioles inquiétantes, des êtres malfaisants et une petite armada d’enfants héroïques ; péripéties, batailles et courses-poursuites, ponctuées de petits moments salvateurs, s’enchaînent. Et puis, c’est le réveil. Et avec lui, le soulagement de l’enfant qui va jeter « toute la nuit dans un puits » et ainsi s’offrir un moment d’épanouissement à l’air libre, de rêvasserie au soleil, de jeux dans la nature environnementale – ici la balançoire, là la cabane, ici la cachette, là les mains en pleine terre, là encore la grimpette à l’arbre… Imprégnée d’une joyeuse vitalité enfantine, la dernière scène fait écho à l’une du rêve.
L’univers des contes colore Un rêve. Les enfants (héros) dans la forêt (lieu d’épreuves), les êtres peu fréquentables (chat déplaisant) voire menaçants (« monstre vert » et « terrible monte-en-l’air » !), la confrontation des uns avec les autres (combat d’épées, scène de traque), le moment d’apaisement (voltige et ballet maritimes), les rebondissements redoutables (surgissement de l’ours féroce), les images parfois angoissantes (rapt d’un bébé), la délivrance finale (le réveil individuel et le jeu collectif)… tous ces éléments inscrivent le rêve du garçonnet dans un cadre fabuleux. Et la symbolique des nombres, qui imprègne également tant de contes, nourrit l’album dans son intégralité : du rêve à la réalité, ce sont douze arbres et un brin de buis, quatre êtres malfaisants, treize soleils et un nuage qui parsèment le récit.
Deux artistes tissent cet album littéralement extra ordinaire, tant dans sa narration textuelle que dans l’imagerie. Karen Hottois nous livre une courte et merveilleuse histoire faite à la fois de fantasmagories et d’insouciances enfantines – l’éditeur, Esperluète, évoque finement une histoire-comptine. Sandra Dufour, quant à elle, nous offre une expérience visuelle saisissante : broderies de figures et écritures cursives, associées à un support de tissus teintés selon la technique traditionnelle japonaise du shibori, produisent une œuvre éblouissante, inspirée et inspirante.
Brigitte Van den Bossche