Début des années 1900, nous sommes à Tulsa, petite ville pétrolière de l’Oklahoma, à l’économie florissante. Population blanche et population noire vivent de part et d’autre de la ligne de chemin de fer. Malgré un régime ségrégationniste implacable, la communauté afro-américaine connaît la prospérité. Le quartier de Greenwood surnommé le « Wall Street Noir d’Amérique » peut rivaliser avec n’importe quelle ville de Blancs. Il possède son propre système scolaire, son hôpital, ses journaux, ses bibliothèques, ses restaurants, ses commerces, son bureau de poste, ses églises, ses cinémas. Hélas, cette belle histoire va se terminer tragiquement, suite à un incident mineur.
Un jeune noir cireur de chaussures est accusé d’agression par une jeune liftière blanche de 17 ans ; en fait, dans l’ascenseur, Dick Rowland, en trébuchant, aurait marché sur les pieds de Sarah Page ! Alors qu’une trentaine d’ hommes de couleur se rassemble pour éviter un éventuel lynchage, pratique courante à l’époque, la confrontation se révèle inévitable. Ce 31 mai 1921, dans les échauffourées, deux noirs et dix blancs perdent la vie. Le lendemain, Greenwood est pris d’assaut par une horde de blancs. Avec la complaisance de la police qui assiste passivement à l’attaque, le quartier est incendié et pillé pendant seize heures ; vaine est la tentative de résistance des vétérans afro-américains de la Première Guerre mondiale. Trois cents Noirs sont tués, des centaines sont blessés, plusieurs milliers d’habitants sont sans-abri. Pendant des années le massacre est dissimulé. Il ne sera reconnu qu’à l’extrême fin du vingtième siècle.
Tout est tellement incroyable dans ce récit – la prospérité de Greenwood d’un côté et de l’autre le surgissement de violence qui détruit en une nuit ce quartier modèle – que l’écrivaine Carole Boston Weatherford recourt, comme dans un conte, à la formule introductrice « Il était une fois » inlassablement répétée. De même que l’autrice a opté pour la sobriété dans sa narration des faits, autant l’illustrateur Floyd Cooper a manifesté de la retenue dans ses images placées sous le signe de la couleur marron. Le contraste est grand entre les deux parties de l’album. L’atmosphère des premières pages impressionne par l’harmonie des lieux, l’ampleur des constructions, et surtout par la distinction et l’élégance des hommes et des femmes de couleur, leur beauté. Après l’incident de l’ascenseur, les gros plans sur les visages des protagonistes, sur les mouvements de la foule, font ressentir au lecteur l’insoutenable horreur de la situation. Notons au passage que la double page qui montre un Noir les bras levés en signe de reddition après le massacre est inspirée par l’une des statues en bronze, L’humiliation, qui orne désormais la Tour de la Réconciliation érigée dans le John Hope Franklin Park. L’album se termine d’ailleurs par l’évocation de ce Parc de la Réconciliation ouvert à Tulsa. Celui-ci « ne se limite pas à un monument de bronze en souvenir du passé. Il invite aussi chacun de nous à rejeter la haine, la violence et à préférer l’espoir ».
Il était une fois… un massacre raciste a obtenu aux Etats-Unis un Caldecott Honour en 2022.
Un dossier historique accompagné de photographies et des propos de Floyd Cooper décédé prématurément complètent l’album.
Michel Defourny