Page Tsou, Le Cadeau – HongFei-Cultures 2020

Un album déroutant et fascinant, par un artiste plasticien taiwanais
Il raconte la première visite que fit un petit garçon, sage et triste d’apparence, dans un musée d’art moderne ; un drôle de cadeau que lui a offert son père, en ce 24 décembre 1990. Le lecteur suit les différentes étapes de l’après-midi. Départ en voiture, avec papa, maman ; sur l’esplanade, à l’arrivée, moment d’inattention et envol de son seul ami, « Monsieur Cigale » ; présentation du ticket au guichet d’entrée ; passage au vestiaire où l’on s’allège de tout objet gênant ; déambulation dans les différentes salles d’exposition ; découverte de quelques installations intrigantes comme la salle des machines ou l’espace aux poissons porteurs de chapeaux « magrittéens » ; retour à la maison ; réapparition nocturne de « Monsieur Cigale ».

Cet album est également un hommage au Tapei Fine Arts Museum, à l’occasion de son trentième anniversaire. Son architecture impressionnante allie contemporanéité et tradition chinoise de l’emboîtement ou « dugong », par ailleurs inspiration du motif de couverture. Il valorise le dynamisme de la création taiwanaise en présentant trois œuvres appartenant aux collections du TFAM, Le Rouge impérieux de Li Zaiqian, La Position originelle 6801 de Li Xiqi et La Poire de Ming Fay (1).

Mais, surtout, cet album propose une réflexion sur l’art moderne, sur le beau… et sur la réception des œuvres. Pour appréhender une œuvre, faut-il tenter de comprendre les intentions de l’artiste ? Ou, au contraire, prendre conscience, comme l’affirme John Berger qu’apprécie Page Tsou, que chacun voit une œuvre comme personne ne l’a vue auparavant. En puisant dans ses souvenirs, en ouvrant grands les yeux, en écoutant son cœur, en se laissant surprendre… Et par-delà, libre à chacun dans un musée, de laisser batifoler ses pensées : au lieu de se pencher sur un tableau, admirer la cravate d’un gardien ou les boucles d’oreille d’une jeune fille qui se balade…

Une atmosphère surréaliste, un graphisme d’avant-garde
Si les œuvres contemporaines exposées dans ce musée peuvent paraître étranges, les membres du personnel et les visiteurs le sont tout autant. On les croirait sortis d’Une semaine de bonté de Max Ernst, avec leur tête d’animaux collées sur des corps humains habillés de tenues quelque peu datées. L’atmosphère surréaliste est sensible dès les pages de garde : que faisaient ces saucisses suspendues à des câbles électriques que parcouraient deux souris équilibristes, des saucisses que l’on retrouvera dans leur terrier, en fin d’album ! Quant au graphisme de l’ensemble qui contribue au dépaysement, il évoque pour moi les dessins d’architecture et les collages de Superstudio et d’Archizoom, mouvements avant-gardistes des années soixante.

Un dispositif narratif élaboré
Dans ses mises en page, l’artiste adopte un dispositif narratif complexe et original. Chaque double page est titrée et suivie d’un texte court destiné à orienter la lecture de l’image grand format : Pauvre Garçon, Blue Wonder, Musée d’Art, Point de Vue, Arcanes, Plus tard, Minuit… et chaque moment est précisé, de façon obsessionnelle : c’est à 13h30 que la voiture du papa de Xiong démarre, à 14h30 que la famille arrive à destination, à 16h20 qu’un visiteur face à la Poire géante se demande : « Est-ce de la nourriture ou de l’art ? »…

Enfin, aux différents personnages est attribué un petit chiffre qui renvoie à une phrase ou deux. Histoire de prendre connaissance des réflexions, réactions, interrogations, divagations qui passent par la tête de chacun.

Des confidences de l’auteur
« En créant cette histoire, j’ai pensé à mon séjour d’étudiant en art en Grande-Bretagne. Il m’a ouvert les yeux. Mon père m’a soutenu dans cette aventure. Je lui en suis reconnaissant. C’est un cadeau précieux qu’il m’a fait là. Ce livre rend compte de cette expérience intime et de quelques notions sur l’art, notamment inspirée par John Berger, que je souhaite partager. »

  1. Le Rouge impérieux (page 15h00)
    La Position originelle 6801 (page 15h30)
    La Poire (page 16h20)

Michel Defourny

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